Nous aurons un Casino
Ainsi en a décidé le Conseil Municipal dans sa séance d’hier
L’ancien Casino est trop vieux, M. Vives trop exigeant
Et… les élections trop proches.
M. le Maire a eu hier le triomphe facile et bruyant. Après que les conseillers municipaux eurent voté – comme on le verra plus loin – la construction immédiate du Casino, M. le Maire tint à faire un plaidoyer, dans lequel il disait leur fait aux adversaires de la municipalité. Il a été applaudi : le contraire seul nous eut étonnés.
M. le Maire y a insisté sur la nécessité de remplacer le Casino actuel. Ce n’était pas là la question, et, sans pour cela être grincheux, nous tenons à replacer la discussion sur son véritable terrain. Du rapport que nous analysons plus loin, il résulte que :
1° Il faut construire le Casino
2° Rien dans le bail, ne permettait à M. Vives de ne pas tenir ses engagements financiers ;
3° Le procès jugé au Havre a été mal jugé et le geste de M. Vives offrant de payer son dû a influencé les juges.
La conclusion logique de ce rapport devait être celle-ci : nous avons le droit, nous résisterons aux prétentions de M. Vives et nous ferons appel du jugement.
En effet de deux choses l’une : ou bien M. Vives avait tort et il a encore tort et, à aucun prix, on ne doit céder à des objurgations que le rapport lui-même qualifie d’injurieuses ; ou bien il a raison et il avait raison en juillet dernier et la Ville devait s’exécuter, sans s’exposer aux frais d’un procès très coûteux.
Que le Casino soit à remplacer ou non, cela n’a rien à voir ici. Il s’agit simplement de savoir si la Ville est dans son droit, comme le rapport le laisse entendre, ou si elle est dans son tort comme le tribunal en a jugé. C’est ce que M. le Maire n’a pas dit en son apologie et ce que nous dirons pour lui, au risque de passer pour des “détracteurs impénitents”, c’est que l’unique raison du vote d’hier, est l’approche des élections municipales.
Le rapport le dit : il y a là un des points du programme électoral sur lequel le Conseil actuel a été élu. Il faut que la construction soit commencée en mai, et, tout en maugréant, on s’y emploie. Tenez pour certain que si le procès s’était engagé il y a deux ans, la Ville refuserait d’accepter le jugement et ferait appel. Mais, le temps est limité, il est nécessaire de flatter les électeurs : on construira donc immédiatement le Casino, et ce sont les contribuables qui feront les frais du procès. M. le Maire a parlé de sagesse électorale. Le mot n’était point juste : c’est de prévoyance qu’il fallait écrire.
QUE FAIRE ?
Une conclusion paraît alors devoir s’imposer : ne pas l’accepter. Mais le Conseil a promis aux électeurs un casino, et cette construction est un des points de son programme électoral. Il faut donner des explications à la population.
Et le rapport énumère maintenant les “résolutions prises” :
1° Construire le Casino parce que l’autre doit être remplacé ;
2° le construire dès maintenant puisque le bail Coulanges expire le 31 ;
3° rechercher les voies et les moyens pour y parvenir.
En passant, le rapport fait remarquer que rien dans le bail ne prévoyait que les travaux devraient être commencés le 17 septembre, mais seulement que l’entrée en jouissance partirait de juillet 1908, cette jouissance ne pouvant encore être que partielle.
VOIES et MOYENS :
Donc, on construira le Casino. La question financière est ainsi résolue ; on utilisera les 11 centimes réservés à cet usage, puis le boni des centimes additionnels. D’autre part, le casino devant être loué, rapportera au bout de 30 ans, un bénéfice de 30 000 francs et la Ville en sera complètement propriétaire. Il est entendu, dès maintenant, qu’une somme de 10 000 francs sera prélevée sur les fonds libres pour les premiers frais. En même temps, un emprunt sera négocié avec une société financière.
Le RAPPORT ADOPTÉ :
En résumé, construction immédiate du Casino avec les ressources existantes. M. le Maire met aux voix les concessions du rapport qui sont adoptées.
Une APOLOGIE :
M. le Maire lit ensuite un rapport qui ressemble à une apologie. Il y explique pourquoi il est nécessaire de remplacer le Casino actuel insalubre. Le 25 avril 1908, un acte modificatif du bail de 1907 intervenait entre elle et M. Vives. Les charges étaient diminuées de part et d’autre : le Casino ne coûtait plus que trois cent mille francs au lieu de quatre cents ; le loyer, pour la première période, était abaissé de vingt-cinq mille à dix-huit mille francs ; le cautionnement primitif de trente mille était réduit à dix-huit qui, tout en garantissant les loyers, restait la propriété de M. Vives. La construction du Casino devait être achevée pour le 1er mai 1909, toutefois, M. Vives prendrait, dès 1908, le Casino dans l’état où il se trouverait, moyennant paiement à la ville d’une redevance de 20% sur le produit des jeux. Telle était la modification contractuelle apportée au bail de 1907. À l'ouverture de la saison 1908, M. Vives ne trouva pas le Casino dans l’état qu’il pouvait légitimement escompter : il sollicita de la ville, d’ailleurs en vain, une réduction de la redevance de 20%. En ce qui concerne les jeux, il en rétrocéda l’exploitation à MM. Declâtre et Mundwiller. Ceci amena contre M. Vives une condamnation correctionnelle qui, sans être infâmante, devait néanmoins avoir une grande importance pour l’exploitation future des jeux au Casino.
Au 1er mai 1909, le Casino n’était toujours point achevé. M. Vives fit, le 12 juin, dresser un constat ; le 13 juin, il consentit un sous-bail à M. Dupeyron ; celui-ci n’obtint qu’assez tard et après bien des difficultés, l’autorisation d’exploiter les jeux, à condition que M. Vives n’entrât point au Casino. M. Vives voulut, malgré cette défense, pénétrer dans l’édifice, il en fut expulsé. Il se décida en 1910 à demander en justice, la résiliation du bail de 1907, modifié en 1908, avec dommages-intérêts.
C’est pourquoi, aux audiences du tribunal civil du Havre des 16 et 17 juin 1910, Me Legasse demande au nom de M. Vives, au tribunal de prononcer cette résiliation. Il se réclame ensuite de dépenses faites par son client dont celui-ci n’a pu profiter, - et ces dépenses s’élèvent à environ 50 000 francs en mobilier, électricité, décors, publicités, honoraires pour frais d’actes. Il met en compte une somme de 280 000 francs, représentant le bénéfice que lui laissait la sous-location et il demande aux juges d’accorder à M. Vives 360 000 francs de dommages-intérêts.
Me Martin, du barreau de Rouen, à l’audience du vendredi 17 répond au nom de la ville, qui prétend que s’il y a nécessité de résilier, cette résiliation devra être prononcée aux torts de M. Vives et non de la Ville. Il rappelle les faits et gestes de l’adversaire. Il en indique le caractère et la portée et soutient que les engagements pris n’ont pas été tenus, les clauses du bail pas respectées. Il est ainsi amené à analyser les reproches formulés par M. Vives qui, contrairement aux conventions, ne livra à la municipalité la salle du Casino que moyennant rétribution.
À la plainte adressée par suite de l’inachèvement des locaux et le non aménagement vers la plage, Me Martin soutient que la plage appartenant à l’État, le locataire était tenu de faire le nécessaire, et les difficultés invoquées sont surtout de son fait. Il est certain, par exemple, que la fermeture des jeux ordonnée en octobre 1908 fut l’œuvre de M. Vives. Celui-ci en effet, pour avoir enfreint l’article 3 de la loi de 1907 qui interdit la cession des jeux à des fermiers, s’entendit condamner par le tribunal correctionnel de notre ville à 100 francs d’amende ; et si à la suite de cette sanction l’entrée de l’établissement lui fut refusée, ce ne fut non point par arrêté municipal, mais bien par une décision du ministère de l’intérieur. M. le maire ne fut dans l’espèce, qu’un agent de transmission, et il ne saurait y avoir là trouble de droit.
Une autre instruction ministérielle, au surplus, précisait nettement les choses en accordant les lieux au sous-locataire M. Dupeyron. L’autorisation était donnée sous réserve que M. Vives ne s’immiscerait en rien dans l’exploitation et qu’il ne paraîtrait même pas dans les locaux. La municipalité fit, d’ailleurs à cette époque, toute diligence pour la mise en marche du casino malgré les allégations du directeur.
Au demeurant, les promesses faites par elle avaient été tenues et plusieurs réclamations formulées par M. Vives ne faisaient pas partie du contrat du 13 juin 1909. Ainsi les 30 cabines de bains et certains agencements avaient enfin été supprimés et acceptés.
En échange, malgré des lettres et des démarches réitérées, le directeur ne donnait pas satisfaction et ne remplissait pas les engagements pris, et si un état des lieux était fait, par contre, l’inventaire ne le fut pas.
L’examen par les juges des griefs des parties : Ceux de M. Vives d’abord : les difficultés soi-disant créées par la ville de Fécamp, le retard apporté à l’ouverture des jeux, l’expulsion de M. Vives, lorsqu’il tenta d’entrer au Casino, ne paraissent pas des griefs sérieux. La ville, en tout cas, ne saurait être responsable de mesures ayant un caractère administratif. Par contre, il est certain qu’en 1908, pendant la période de construction du Casino, à laquelle correspondait une jouissance transitoire, la ville n’a pas fourni la jouissance promise, d’un local susceptible d’être utilisé avec profit. En 1909, elle a mis à la disposition de M. Vives un local défectueux : la salle des petits chevaux faisait corps avec la salle des fêtes, ce que la loi interdit. Le théâtre était dépourvu d’un rideau de fer ; la charpente n’était point ignifugée ; ceci entraînait de grosses responsabilités à la charge de l’exploitant. Enfin, les cabines de bains faisaient défaut : pourtant l’acte de 1908 ne les avait pas supprimées en même temps que la piscine. Il est certain que M. Vives n’a pas pu tirer des bains de varech, pour lesquels il avait fait une habile réclame, le profit sur lequel il pouvait compter. M. Vives est donc, en principe, fondé dans sa demande.
La ville l’est-elle dans sa demande reconventionnelle ? Non. Si elle n’est pas payée du terme d’août 1909, c’est qu’elle n’a pas elle-même tenu ses engagements. Au surplus, le cautionnement de M. Vives est là pour servir de garantie.
Pour clore cette affaire Le Ministère public conclut : 1° à la résiliation aux torts de la ville, 2° au rejet de sa demande reconventionnelle. Cette page a été renseignée et réalisée grâce aux articles parus dans le Journal de Fécamp des années 1907 et 1908,
aimablement mis à notre disposition par Durand Imprimeurs.