CAMP-FESTIF - Quelques Grands Événements - 1886 Les Écoles Saint-Ouen
Page créée le 02 décembre 2018                             Photo : Éditions HW n° 563, extraite de l'ouvrage d'Elisabeth Simon : Écoles, pensions et orphelinats au XIXe siècle.


      1- Introduction :
 

      Avant de rappeler ce que fut l’inauguration des Écoles Saint-Ouen, et ranimer le souvenir des manifestations festives, qui l'ont accompagnée, remémorons-nous quelques faits marquants de la période, que nous allons évoquer.
 

       Le 8 février 1871 aux élections à l’Assemblée nationale, les Conservateurs ont obtenu “une victoire écrasante”, le 17 Louis Adolphe Thiers a été nommé chef du pouvoir exécutif, de la République française ; Jules Grévy préside l’Assemblée (il sera élu Président de la République, après la démission de Mac-Mahon, à l’élection du 30 janvier 1879).
       Les 14 et 28 octobre 1877 ce sont les républicains qui, cette fois, sont sortis gagnants aux élections législatives. Le 16 juin 1881 la loi Jules Ferry sur la gratuité de l’enseignement primaire a été adoptée, et le 28 mars 1882, une nouvelle “loi Ferry” a rendu l’école primaire obligatoire et laïque.

 

       C’est dans ce contexte que dès 1881, le Conseil municipal de Fécamp et son maire Alexandre LEGROS, reconnaissent l’utilité de doter le quartier populeux de Saint-Ouen de classes pour les garçons et les filles. La réalisation de ce projet paraît bien difficile, comme en témoigne, après coup, la brochure éditée à ce sujet par le Conseil municipal de la Ville de Fécamp en 1884.
 

       Voyons donc quelques extraits, tirés de cette brochure :

     
« La réalisation du projet envisagé, devant entraîner une dépense d’une trentaine de mille francs, avait été ajournée faute de ressources suffisantes. Les élus jugeant inopportun d’engager de « lourds sacrifices pour construire des maisons d’école ».
 

       Cet argument paraissait, semble-t-il suffisant pour que le projet soit mis en sommeil. L’année suivante, en 1882, le 19 mai Alfred Dubois retrouve le siège de maire qu’il avait perdu en 1878. Le projet est repris, Alfred Dubois propose d'offrir le terrain, M. Handisyde père quant à lui, 5 000 frs. Mais, cette proposition n’est pas pour satisfaire la majorité des habitants, qui pensent entre autres, que la propriété de M. Dubois ne résout pas les problèmes de “distance”.
 

      Une pétition signée par 164 personnes, lue par Augustin Le Borgne, conseiller municipal d’opposition, dans la séance du Conseil du 21 novembre 1883, argumente ainsi :
 

     « Qu’aujourd’hui, avec le gouvernement qui nous régit et fait tous ces efforts pour instruire la jeunesse, nous devons profiter de ses bonnes intentions ; mais pour cela il est nécessaire de construire un local propice à cet usage ;

      « Qu’il est vraiment pénible pour nous, messieurs, de nous voir obligés d’envoyer nos enfants à la classe, à une distance de plus de 2 kilomètres. Quand il fait beau temps, cela va encore à moitié, mais quand vient l’hiver, par des temps de glaces, neiges ou pluies, malgré notre bon vouloir et tout le désir que nous avons de faire instruire nos enfants, nous ne pouvons risquer leur vie en les envoyant à la classe à une aussi grande distance ; forcément, nous sommes obligés de les garder chez nous, où ils perdent un temps précieux ;

       « Que d’un pareil état de choses il s’ensuit que ce qu’ils ont appris la veille, ils l’oublient le lendemain ;

       « Qu’étant en majeure partie ouvriers, il ne faut pas non plus oublier que quand nos enfants arrivent à un âge où ils peuvent commencer à travailler, nous sommes souvent obligés de les retirer de classes ;

      « Qu’il est de toute nécessité que l’administration communale prenne des mesures immédiates pour que nos enfants ne puissent perdre un seul instant pendant qu’ils sont jeunes ;

      « Que pour qu’il vous soit possible d’apprécier sérieusement l’importance de notre demande nous prenons la liberté de joindre à la présente un tableau où vous trouverez les noms, prénoms, nombre et sexe des enfants qui actuellement pourraient profiter de cette amélioration ;

       « Que nous osons espérer qu’il suffira de vous présenter ces faits pour que vous fassiez droit à notre juste et équitable demande, et cela dans un délai aussi court que possible. »
 

      À ces arguments était jointe une proposition pour une implantation sur un terrain “mieux centré”. Cette pétition, fut repoussée par le Conseil municipal,
 

      « Pour le seul motif qu’elle lui était présentée par un membre de la minorité, dont l’activité et l’influence le gênait, on s’empressa de revenir sur la proposition Dubois-Handisyde, et d’accepter avec force démonstration de gratitude, la ferme du premier, sise quartier Saint-Valery, et l’offre de 5.000 francs du second ».....
 

      Les protestations ne se font pas attendre des signataires de la pétition. Ils adressent à Monsieur le Maire et Messieurs les membres du Conseil municipal de Fécamp une longue lettre dans laquelle Augustin Le Borgne répond dignement aux questions personnelles et blessantes que s’obstinent à lui poser les membres de la majorité. Nous reprenons le texte de la brochure édité en 1884 :
 

        ......« Persistant d’ailleurs à ne vouloir tenir aucun compte des vœux exprimés et des motifs invoqués par les pétitionnaires, le Conseil municipal vota définitivement l’acceptation du terrain de M. Dubois, de la somme de M. Handisyde, et décida la construction suivant plans devis devant s’élever à 73.000 francs.

       « Notons que les premières dépenses projetées, en 1881, ne devaient aller qu’à une trentaine de mille francs.
      « Le Conseil, au reste, s’abusait étrangement s’il croyait sa décision définitive et souveraine. De même qu’il y a un Conseil d’État qui a déjà évité à notre ville les suites désastreuses d’un fameux projet financier, il y a une administration supérieure qui a charge de veiller à nos autres affaires. Il y a, pour les constructions d’écoles, des règlements que nul ne saurait enfreindre, une surveillance et un contrôle édictés par la loi, et dont, fût-on le chef tout-puissant d’un Conseil réactionnaire discipliné, on est bien obligé de tenir compte !

       « Par les soins de M. Le Borgne, qui a montré, en cette question surtout, une constance et un dévouement dont les quartiers éloignés du centre lui devront gré, la pétition suivante a été remise à M. le sous-préfet :

 

Fécamp, le 9 avril 1884.         

 

« A monsieur le Sous-Préfet de l’arrondissement du Havre.

« Monsieur le Sous-Préfet,


      « Les soussignés ont l’honneur de vous exposer ce qui suit :


      « Que dès l’année dernière, ils ont adressé au Conseil municipal de Fécamp une pétition ayant pour but de faire doter les quartiers Saint-Ouen, Saint Valery et des hameaux de l’Épinay et du Torps d’un local où les enfants des deux sexes pourraient trouver l’instruction dont ils ont besoin, sans être astreints à faire 2 ou 3 kilomètres par des temps souvent très mauvais, pour se rendre aux classes situées dans l’intérieur de la ville ;

      « Qu’ils croient devoir exprimer à Monsieur le Sous-Préfet le vœu qu’ils avaient précédemment formé dans cette dernière pétition, de voir les classes projetées se construire au centre même de leur quartier, dans les terrains vagues et inoccupés longeant la route de Rouen, à partir de la maison de M. Delaunay père jusqu’à la filature dite la Scierie appartenant à M. Handisyde située en face de la maison de M. Delaporte ;

     « Que ladite pétition ayant été étudiée par le Conseil municipal dans sa dernière séance, a été admise comme question d’utilité publique, mais critiquée quant à la fixation du lieu où les classes devraient être construites ;

       « Qu’ils pensent encore que l’endroit qu’ils ont indiqué est plus central et répondrait à tous les intéressés ;

       « Que néanmoins, ils sont prêts à s’en rapporter à la décision d’une commission d’enquête ;

      « Que le terrain offert par M. Dubois, maire, situé à la ferme du Colombier (quartier Saint-Valery) ne présente pas, selon eux, tous les avantages désirables comme point central pour y construire des classes ;

        « Que loin de vouloir écarter les offres de MM. Dubois et Handisyde père…»

        S’ensuit une étude économique et logistique, qui se termine avec l’espoir que :

       « La générosité de MM. Dubois et Handisyde, qui a certainement sa source dans les meilleures intentions du monde, qui n’a pas l’ombre d’un intérêt personnel, s’est donc trompé d’adresse. Mais ces messieurs peuvent toujours se raviser, et notre population ne doute pas que lorsque l’enquête aura démontré leur erreur, ils s’empresseront d’offrir l’équivalent de leurs promesses ».

       En conclusion un dernier “coup de griffe ”, n’oublions pas que nous sommes en pleine période électorale :

      « En attendant, les habitants des quartiers populeux de l’extrémité de la ville n’ont point lieu de se féliciter de la façon dont le Conseil municipal actuel a compris et défendu leurs intérêts, dans une matière aussi grave que celle d’une école communale.
       « Au contraire, et ils sauront s’en souvenir ! »

 

      Fin de citation ! Finalement ce projet, après bien des polémiques, se concrétisera avec l’ouverture de classes, dans La filature dite Ancienne scierie propriété de Thomas Handisyde, voisine de l’emplacement suggéré par les habitants des quartiers que cette école doit desservir.

       Une conclusion nous est donnée par Elisabeth Simon dans son ouvrage édité en juillet 2017 :
 

      “Jamais auparavant aucun Conseil municipal n’avait envisagé la création d’une école laïque de filles et encore moins la création simultanée des deux écoles de fille et de garçons, les écoles “mixtes”. La municipalité a changé, ce sont des républicains à la tête du conseil municipal. Ils ont la volonté de marquer par un acte fort et symbolique leur prise en main de l’éducation mais ce sont aussi les lois Jules Ferry avec la laïcisation du personnel de 1886 qui interdisent toute création d’école communale avec du personnel congréganiste.

      “L’école Saint-Ouen est en effet ouverte au moment même de la promulgation de cette loi et est considérée comme “une victoire définitive du parti républicain” saluée par la présence de cinq députés dont MM. Félix Faure, Casimir-Périer et Siegfried à son inauguration. Aucune école religieuse de fille ou école communale n’est installée dans ce quartier, le nouveau conseil municipal républicain doit prévoir l’éducation des filles en même temps que celle des garçons. Pour les deux autres groupes scolaires de la commune les garçons auront toujours la priorité pour les écoles neuves, les écoles Saint-Ouen sont donc un exemple d'égalité du genre qui ne se reproduira pas dans les années suivantes.
 

Écoles, pensions et orphelinats au XIXe siècle 
L'exemple de Fécamp 
Elisabeth Simon juillet 2017.