On se souvient que l’Établissement des Bains de mer de Fécamp était depuis 1863 la propriété de la Société financière le Crédit Suisse. La ville de Fécamp, ainsi que nous l'avons vu, n'avait pas souhaité se charger elle-même des destinées de son établissement.
Les nouveaux propriétaires, qui à priori pouvaient tout faire pour cet établissement, ont eu peur eux aussi, ce qui explique qu’ils ont bien de la peine à ouvrir le casino, ils le confient à M. E. Nathan, pour y donner des concerts ; M. Nathan violoncelliste de son état est également, Propriétaire-Directeur de l’Établissement de Bains de Mer d’Yport.
Avec cette acquisition le Crédit Suisse avait-il une idée derrière la tête ? Louis Nicolle, en avait évoqué l’hypothèse en 1864, dans La Plage Normande :
“Un des membres influents de cette société (Le Crédit Suisse), qui est en même temps un des personnages les plus considérables de la Suisse et député au Conseil Fédéral, M. Fiertz, est venu, cette année, passer le premier mois de la saison des bains sur notre plage. M. Fiertz qui a compris la nécessité d’une union étroite entre la ville et l’Établissement des Bains, s’est mis en rapport avec les membres de notre administration locale et plusieurs personnes pouvant être, par leur position, de quelque influence dans la question des bains. M. Fiertz a fait dimanche, ses adieux à ses amis de Fécamp, qui emporteront de lui non-seulement d’excellents souvenirs personnels, mais encore de bonnes promesses relativement à l’avenir de notre bel Établissement.”
Louis Nicolle, dans La Plage Normande du 18 août 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru
Le Crédit Suisse, avait ouvert à son compte, les hôtels, les restaurants et les chalets.
Cette banque ne va exploiter ces établissements que pendant quatre ans, au bout desquels, se trouvant en déficit, elle décida de céder cette exploitation. Une situation foncière toute naturelle venait d’ailleurs de lui être faite.
L’immobilier avait été construit sur un terrain appartenant au génie militaire ors, celui-ci en avait fait la remise aux Domaines, chargés d’en opérer l’aliénation. Le Crédit Suisse se trouvait donc dans cette difficile position : acheter les terrains ou courir la chance qu’un autre s’en rendit adjudicataire, ou voir l’administration de la guerre ordonner la démolition du casino et des hôtels.
La ville désirait sauver le casino du péril imminent, préoccupée du fait le Crédit Suisse ne voulait pas acheter, Jacques Huet, maire de la ville de Fécamp propose de faire l’acquisition de l'établissement de Bains et du Casino. L’administration de la guerre avait estimé ces terrains à 30 000 francs ; le maire demandait que la mise à prix fût abaissée à 15 000 francs, et pria M. Gayant de faire quelques démarches en ce sens.
L’administration des domaines, après avoir consulté le ministre de la guerre, refusât, l’offre de la ville, en ces termes : Si la ville de Fécamp ne porte pas à 30 000 francs le chiffre de ses offres, je me verrai forcé quoique à regret, de prendre les mesures indiquées par le maréchal Randon, et qui auront pour résultat de priver la ville de Fécamp de son établissement de bains de mer. De nouveaux pourparlers, furent ouverts avec les administrations de la guerre et des domaines, et le 14 mars 1866 la commission des finances municipales adoptait à l’unanimité l’offre des administrations pour l’achat de la partie de terrain correspondant aux installations de bains de mer, pour la somme de 12 000 francs.
On avait pu croire un instant la question était résolue par ce vote, en pensant que le crédit suisse, débarrassé de la question d’acquisition, continuerait l'exploitation, mais cette société confirma son intention de ne pas continuer son industrie.
Au mois de juin 1866, l’ouverture de la saison, attendue pour le 15, semble bien compromise, le bruit court que l’Établissement de Bains-de-Mer édifié sur la plage est sans direction ! M. Nathan n’a pas souhaité être reconduit dans sa fonction de directeur pour la nouvelle saison, il a mis en place précédemment une troupe et un orchestre, dirigés par Eugène Dugard. Quant à lui, il vole de ses propres ailes après avoir créé “son Casino”. Il avait fait part de ce projet dans la presse locale pendant deux années. Face à la détermination des exploitants, M. Jacques Huet, maire, soumit au conseil le projet d’acquisition du casino et de ses dépendances.
Quelques temps plus tard, le 27 juin 1866, sous la pression des circonstances, le conseil municipal vota à l’unanimité, l’acquisition du casino seulement, moyennant la somme de 23 527 francs 70 c., et celle des terrains pour 14 920 francs.
Quant à l’hôtel des Bains et les chalets, ils seront mis en adjudication en 1868. Voir l'annonce
Les habitants de Fécamp eurent connaissance de cette transaction par le compte-rendu de la séance du Conseil municipal du 27 juin. Compte-rendu qui, d’après une délibération du 24 octobre 1865, était rédigée sous la surveillance du secrétaire du Conseil, ce qui lui donnait un caractère complet de certitude. Sur ce rapport, “le Conseil vote les acquisitions du Casino, les bains chauds et froids, du gymnase et tout le mobilier qui les composent ou en font partie, aux prix, charges et conditions stipulées, et autorise M. Le maire à faire gérer ces établissements aux conditions qu’il croira les plus avantageuses pour la ville.” Il y a, maintenant de toute évidence “urgence” à engager un gérant afin d'ouvrir l'établissement, la municipalité s’empresse de lancer les recherches ! et le 4 juillet le Journal de Fécamp, rend compte de la séance du conseil municipal qui s’est tenue le 27 juin, où il a été dit : “Le conseil approuve, un traité intervenu entre M. le maire et M. Domergue pour l’exploitation du casino et le programme des fêtes et divertissements qui devront y être donnés.”
Que savons-nous de M. Domergue ? Qu'il avait été recruté par Eugène Dugard pour l'orchestre du casino qu'il était appelé à diriger. Il était donc installé à Fécamp depuis moins de 2 ans, que c’était un jeune homme de 25 ans, très actif et fort intelligent, en dehors de la “saison”, chef d’une société chorale et vivant des leçons que cette position lui procurait.
La Gestion de M. Domergue va “s’avérer désastreuse” À qui la faute ? Bien difficile à dire ! Les commerçants fécampois créanciers, qui n’obtiennent pas le règlement de leur dû, adressent, en fin d’année, un courrier à Monsieur le Baron Ernest Lefroy, Sénateur, préfet du département de la Seine-Inférieure.
Voilà une saison, la première placée sous l’administration municipale, qui se termine bien mal ! Vu de l’extérieur, ce n’est pas meilleur, les critiques vont bon train, à l’exemple cet extrait du Guide pratique aux Eaux minérales et aux Bains-de-Mer, (pages 351 et 352) signé par le docteur James Constantin :
“Le casino de Fécamp est certainement l’édifice le plus grandiose, comme bain de mer, qu’on puisse imaginer ; ou plutôt, il faut l’avoir vu pour s’en faire une idée. Il se compose de deux vastes corps de bâtiments reliés entre eux par une longue galerie que surmonte une terrasse, et dont l’ensemble représente un véritable palais. Sur la falaise qui le domine sont coquettement dressés une série de cottages qui en forment comme le couronnement. Pourquoi donc n’y rencontrez-vous que de rares baigneurs ? C’est que jamais lieu ne fut plus mal choisi pour une aussi splendide installation. D’abord l’établissement est trop loin de la ville avec laquelle il ne communique que par une chaussée où la marche est fatigante. Puis les galets qui forment le fond de la plage représentent de gros cailloux roulés qui blessent les pieds du baigneur s’il n’a eu soin de se munir d’espadrilles, nécessité qui, pour beaucoup, ôte au bain son principal agrément. Enfin aucune distraction ne saurait venir du dehors, Fécamp étant avant tout un port de cabotage et les habitants pour la plupart de simples pêcheurs. Cet insuccès est d’autant plus à regretter qu’il ne soit peut-être pas d’endroit où les bains de mer chauds aient été organisés avec plus d’entente. L’usage où l’on est de disposer au fond des baignoires une épaisse couche de varech communique à l’eau des propriétés adoucissantes et résolutives. C’est là une excellente pratique que je voudrais voir se généraliser dans nos autres bains.”
Source : Gallica Bibliothèque numérique de la B.N.F.
Pendant ce temps, le chef d’orchestre Eugène Dugard, qui n’en était plus à un coup du sort près, (n’avait-il pas été “chassé” de son dernier poste, l’Odéon de Tours, suite à l’incendie de ce dernier) se montra des plus persévérants pour imposer son équipe et ses programmes.
“L’histoire serait longue s’il fallait raconter ses luttes presque continuelles contre des propriétaires un peu exigeants. Aux termes de son cahier des charges M. Dugard s’engageait à réunir un personnel de quatre acteurs et cinq musiciens. Il payait un loyer annuel de 2 000 frs.
“Une troupe aussi minuscule était indigne d’un casino de cette importance ; M ; Dugard le sentit et, donnant plus de promesse, amena avec lui un personnel double de ce qu’il s’était engagé à fournir.”
“Carolus” (Charles Durand), dans la Plage Normande du 3 septembre 1886 - collection J.-P. Durand-Chédru
La persévérance et l’acharnement d'Eugène Dugard, à dynamiser le Casino, lui vaudra, en 1872, huit ans après la première prestation de sa troupe, à Fécamp, d’être nommé Directeur, de l'établissement qu'il avait si bien défendu.
Cette page prend ses sources dans le Journal de Fécamp - avec l'aimable autorisation de Durand-Imprimeurs.
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