Lettre adressée par quelques commerçants créanciers au Préfet : À Monsieur le Baron Ernest Lefroy, Sénateur, préfet du département de la Seine-Inférieure,
Monsieur le Sénateur-préfet,
Les soussignés, créanciers de la ville de Fécamp, à raison de l’exploitation de son établissement (Casino) de Bains-de-Mer, ont l’honneur de vous adresser le mémoire suivant préalablement à l’action qu’ils se proposent de former devant le tribunal civil du Havre contre ladite ville de Fécamp en paiement de ce qui leur est dû. Au mois de juin 1866, la ville de Fécamp fit l’acquisition du Casino (Établissement de Bains-de-Mer) édifié sur la plage, et le 20 juin, cette acquisition était ratifiée par le conseil municipal. Les habitants de Fécamp eurent connaissance de cette acquisition par le compte-rendu de la séance du Conseil municipal du 20 juin publié dans le Journal de Fécamp du 23 juin 1866, compte-rendu qui, d’après une délibération du 24 octobre 1865 est rédigée sous la surveillance du secrétaire du Conseil, ce qui lui donne un caractère complet de certitude. Voici comment ce compte-rendu s’exprime :
“ Sur le rapport de la commission des finances, le conseil vote les acquisitions ci-dessus (le casino, les bains chauds et froids, le gymnase et tout le mobilier qui les composent ou en font partie), aux prix, charges et conditions stipulées, et autorise M. Le maire à faire gérer ces établissements aux conditions qu’il croira les plus avantageuses pour la ville.
“Quelques jours plus tard, on lisait dans le Journal de Fécamp du 4 juillet, le compte-rendu de la séance du conseil municipal du 27 juin :
“Le conseil approuve, 1°….. 4° un traité intervenu entre M. le maire et M. Domergue pour l’exploitation du casino et le programme des fêtes et divertissements qui devront y être donnés, ce au casino”
“Qu’était M. Domergue ? Un jeune homme de 25 ans, très actif et fort intelligent, chef d’une société chorale et vivant des leçons que cette position lui procurait. On savait qu’avant sa venue à Fécamp (environ 2 ans) il avait été impliqué dans une affaire de faillite à Chambéry, où son père avait eu la direction d’un théâtre. M. Domergue était donc dépourvu de tous moyens pécuniaires, même pour commencer l’exploitation du Casino ; et si, à raison de l’avancement de saison on comprenait le choix de l’administration municipale, il était dans l’esprit de tous, que M. Domergue, comme l’avait annoncé le compte-rendu de la précédente séance, n’était qu’un gérant aux ordres de l’administration.
“Cette croyance fut encore corroborée par les affiches qui furent apposées à propos de l’ouverture de l’établissement, affiches, concernant le tarif arrêté par une commission spéciale qui s’était occupée de régler les détails de l’exploitation.
“Dans la persuasion que M. Domergue n’était qu’un agent de l’administration aucun commerçant ne fit difficulté de lui ouvrir crédit pour la fourniture des objets et marchandises nécessaires à l’exploitation qui lui était confiée, et aujourd’hui que la saison est terminée, qu’elle a donné comme partout, de fâcheux résultats, que l’administration a déjà versé pour cause de cette exploitation, près de 6.000 frs, elle se refuse à payer ce qui reste dû (environ 2.000 frs) à divers créanciers parmi lesquels, nous comptons.
“Les raisons de ce refus se réduisent à une :
“À savoir que le sieur Domergue n’était pas le gérant d’affaire de l’administration, mais seulement son locataire, nous pourrions d’abord demander si les prescriptions relatives à la location et à l’exploitation des biens communaux ont été remplies ; mais en laissant même de ce côté cette question de droit, voici nos observations sur les questions de fait.
“La saison des Bains avait commencé le 15 juillet pour finir le 15 septembre 1866. Nous avons vu dans quelles conditions et sous quels auspices elle avait commencé. Au cours de la saison rien n’était venu modifier les croyances communes, au contraire : à diverses reprises, on avait vu l’administration intervenir à propos de difficultés de tarifs ou autres ; mais le 22 septembre on lisait dans le compte-rendu de la séance du Conseil municipal du 19 septembre :
“Qu’une pétition de M. Domergue fils, relative à une demande de subvention comme locataire du Casino était renvoyée à l’examen d’une commission.”
“Comme nous l’avons dit, à cette époque, la saison était finie et les fournitures pour lesquelles nous réclamons étaient faites. Voyons cependant comment on repousse la demande du prétendu locataire.
“Dans la séance suivante (16 septembre) la commission fait son rapport (voir le compte-rendu au Journal de Fécamp du 3 octobre,) le conseil l’adopte et exprime son mécontentement contre la gestion faite par le sieur Domergue, qui a manqué à ses devoirs en ne fournissant pas à l’administration municipale les moyens de reconnaître avec exactitude les résultats financiers de son exploitation.
“Que le Conseil municipal repousse la demande de son prétendu locataire (le compte-rendu ne le dit pas), nous le comprendrions ; mais que, le reniant comme son agent, il se permette de lui infliger un blâme public, en l’accusant d’avoir manqué à ses devoirs, c’est ce que nous ne pouvons comprendre, surtout quand ce devoir aurait eu pour objet les actes d’un subordonné d’un gérant ; savoir :
“Le fournissement des moyens de reconnaître avec exactitude les résultats de son exploitation.”
“C’est que la vérité se fait jour malgré tout. Ainsi, la même délibération approuve la remise (qu’elle appelle prêt) faite au sieur Domergue, par le maire, vers le 14 septembre d’une somme de 2.000 frs, ce qui porte à 5.500 frs les sommes ainsi dites prêtées. Pourquoi cette remise quand la saison était finie et l’exploitation terminée (voir délibération citée ci-après) sinon pour permettre au sieur Domergue de payer les dettes contractées à propos de l’exploitation ; et pourquoi payer ces dettes, sinon parce qu’elles avaient été faites véritablement pour le compte de l’administration“
C’est sur ces entrefaites que nous nous sommes adressés au Conseil municipal pour avoir paiement, tandis que, de leur côté, les employés formaient la même demande pour ce qu’il leur restait dû, or, le Conseil a accueilli cette dernière demande et repoussé la nôtre…. Pourquoi ?
“Voici ce que porte la délibération du 24 octobre 1866, rapportée par le Journal de Fécamp du 31 octobre suivant :
“Considérant :
“1° Que la ville n’était et n’est nullement engagée vis-à-vis de M. Domergue ou de ses créanciers dont aucun n’a été personnellement payé par elle, mais vient cependant d'assurer le paiement des employés.
“ 2° Que les sommes remises à M. Domergue l’ont été à titre de prêt, ce et directement entre ses mains, afin de n’avoir qu’un seul crédit à ouvrir et qu’un seul mandat à délivrer.
“ 3° Que les postulants sont commerçants, qu’ils étaient par conséquent, libres de refuser crédit au sieur Domergue.
“ 4° Qu’ils ne sauraient appuyer leur réclamation du soi-disant patronage que l’administration municipale a accordé au directeur du casino, patronage qui n’était qu’officieux puisque M. Domergue était locataire de la ville et non son gérant.
“ 5° Que les réclamants auraient pu dans le doute de la situation de M. Domergue demander des renseignements à l’administration municipale ce qu’aucun n’a fait.
“Parce que personne n’avait de doute, et que pour les soussignés comme pour tout le monde, c’était l’administration municipale qui exploitait par les mains de M. Domergue.
“Cette décision du Conseil municipal n’a pas passé sans contentieux ; il s’est trouvé quelques membres qui ont demandé que l’administration s’exécutât ; que pour une somme d’environ 2.000 frs elle ne recula pas, en vue même de l’avenir devant le complément nécessaire des sacrifices faits pour acquérir et exploiter convenablement le casino. C’est aussi ce que nous demandons et une pareille résolution ne sera à notre égard qu’un acte de rigoureuse justice.”
“Veuillez, monsieur le Sénateur-préfet, recevoir les plus respectueuses civilités de vos tous dévoués serviteurs.
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Cette page à été réalisée à partir d'un document aimablement mis à notre
disposition par J.-P. Durand-Chédru.