En prélude aux cérémonies à l'Abbatiale, le samedi 5 juillet à 16 h 30 dans la salle de “La Chaumière” Michel de Bouard, doyen de la Faculté des Lettres de Caen, présenté par Jehan le Pôvremoyne, donnait une conférence qui s'ouvrit par un message de M. Daniel Banse, témoignant au nom des Amis du Vieux Fécamp l'honneur et la joie de saluer dans l'auditoire tant de hautes personnalités......
Bulletin 1955-1958 de l'Association des Amis du Vieux-Fécamp et du Pays de Caux
Le rayonnement de l’Abbaye à l’époque médiévale
Cette conférence sur l’Histoire de l’Abbaye mériterait d’être reproduite intégralement. Ce sera, croyons-nous, l’un des meilleurs chapitres du volume de “Mélanges” que prépare le Comité organisateur des fêtes, pour perpétuer le souvenir de ce XIIIe Centenaire. Voici, du moins, un bref résumé :
À 15 heures donc, dans la salle de “La Chaumière”, M. Roland Balier, vice-président des “Amis du Vieux-Fécamp”, ouvrit la séance par la lecture d’un message du vénérable président de cette Société, M. Daniel Banse, se réjouissant de cette commémoration qui s’inscrit en lettres d’or dans l’histoire de la Cité.
Puis, en termes charmants et spirituels, Jehan Le Pôvremoyne présenta le conférencier, dont il souligna que né à Lourdes, il devait être appelé à s’intéresser particulièrement à l’histoire religieuse normande, et rappela son magnifique passé universitaire, patriotique et savant.
Dans une forme élégante, marquée d’une parfaite diction, M. de Bouard retraça les origines et les développements de l’Abbaye de Fécamp. Il s’attacha surtout à l’époque médiévale, qu’il connait à fond, et fit à ce propos d’excellents notations.
Il souligna d’abord que cette abbaye est l’une de celles dont on conserve les plus abondantes archives, et qu’elle fut “un des haut-lieux de la Normandie ducale et spécialement ducale”.
Elle fut fondée, vraisemblablement vers 658 par saint Waninge, avec l’aide de saint Ouen, évêque de Rouen. C’était l’époque où les monastères se bâtissaient un peu partout, à Saint-Wandrille, à Jumièges, pour ne citer que ceux de chez nous. D’abord monastère de femmes, elle fut dévastée par les Normands envahisseurs ; puis reconstruite par ceux-ci, après leur conversion plus ou moins sincère ou opportune...
Devenus ducs de Normandie, les successeurs de Rollon s’attachèrent à l’Abbaye de Fécamp, qui fut en quelque sorte leur lieu de prédilection, surtout au temps de Richard Ier et de Richard II.
La renaissance de Fécamp, sous le premier duc Richard, symbolise la restauration de l’Église en Normandie : tous les évêques de cette province furent présents, le 15 juin 990 à la dédicace de l’église abbatiale reconstruite.
Richard Ier, grand rénovateur de l’abbaye, y mit d’abord des chanoines séculiers, puis voulut y faire venir des Bénédictins ; mais il se heurta au refus de l’abbé de Cluny, peu enclin à la dispersion de ses moines. Ce duc mourut en 996 et voulut être enterré sous le porche et les égouts de l’église : on a retrouvé ses restes, et ceux de Richard II, en 1942, et ils ont été remis en place en 1947.
La réforme clunisienne eut lieu cinq ans après, sous Richard II, qui s’adressa à Guillaume de Volpiano, lequel était à la tête de l’abbaye de Dijon, et accepta de s’intéresser à Fécamp. On lui doit le retour à la vie monacale et le début d’un domaine foncier qui allait faire la fortune de l’abbaye de Fécamp. Pour se faire pardonner leurs excès et leurs vices, les ducs et les seigneurs donnaient des terres aux religieux, en sollicitant leurs prières…
À côté de cette extension territoriale, l’abbaye, sous l’influence heureuse de Guillaume de Volpiano et de ses successeurs, eut un rôle prépondérant dans la vie spirituelle, intellectuelle, cantorale et diplomatique de l’époque médiévale. Elle fut associée à la conquête de l’Angleterre, et c’est à Fécamp que Guillaume le Conquérant voulut avoir son apothéose à son retour en Normandie.
M. de Bouard cite cette belle pensée de Jean de Ravenne, maître de vie spirituelle et conseiller écouté de Guillaume le Conquérant : “père, comme tu veux, fais avec moi ! Si tu es avec moi, je suis avec toi, et alors il n’y a pas de danger…”
À ces rapports avec l’Angleterre se rattacha peut-être la légende du Précieux-Sang, qui parait en concordance avec les récits du Saint Graal. L’histoire médiévale avec ses trouvères et ses poètes épiques, fourmille de légendes de ce genre, M. de Bouard cite deux versions de l’origine de la dévotion du Précieux-Sang : - celle de Joseph d’Arimathie et de Nicodème, contemporains du Christ qui auraient recueilli une parcelle de son sang divin, laquelle ayant été cachée dans un figuier livré au gré des flots et serait venue par la mer jusqu’à Fécamp ; - et celle du miracle eucharistique de la présence réelle survenue au prêtre Isaac, dans la chapelle Saint-Maclou, proche de Fécamp… Il pense, quant à lui, que celle-ci est la plus vraisemblable ; il doit y avoir en tout cas, une similitude avec la légende du Saint Graal…
L’abbaye de Fécamp, dans les siècles suivants, a connu de grandes heures et abrité de saints moines ; mais elle n’a fait que de survivre à elle-même. Jamais elle n’a dépassé le rayonnement de cette grande époque de Guillaume de Volpiano, pas même au temps du futur Clément VI ou de l’ancien roi de Pologne devenu son abbé ; encore moins sous le règne des abbés commendataires…
Le déclin du niveau intellectuel précéda de peu le déclin tout court que provoqua la Révolution. Ce serait un triste bilan, si nous oubliions ce qui a toujours survécu : la Charité, cette grande et magnifique vertu que pratiquèrent sans défaillir les moines de Fécamp…
Une ovation bien justifiée salua la conclusion de cette admirable conférence.
Robert Eude de l’Académie de Rouen.
Extrait de la revue Rouen Cité des Arts, n°24