Voilà donc nos musiciens démissionnaires et l’Administration municipale fort ennuyée. Au sein même du Conseil municipal, l’accord est loin d’être parfait ; et la réunion qui se tint, samedi dernier, fut des plus orageuses. Malgré l’huis-clos, le bruit de menaces de démission nous est parvenu, elles émanaient de MM. Moulin, président des Enfants de Fécamp, et Marius Louis vice-président. Nous avons, en outre relaté plus haut la réflexion faite par M. Paimparay, réflexion qui mit en colère M. Duglé. C’est dire que l’accord parfait majeur, dont le journal officiel nous parlait mercredi, était loin, à ce moment du moins, de régner au sein de la commission municipale de la musique où l’incident était diversement apprécié.
Entre temps, des démarches avaient été faites près des musiciens démissionnaires pour les inciter à réintégrer le rang. Ils ne voulurent rien savoir et déclarèrent unanimement qu’ils ne cesseraient cette grève que si tous, y compris M. Leballeur, étaient réintégrés.
Ils avaient même, afin de bien manifester leur volonté, décidé de remettre jeudi soir leurs effets et leurs instruments. Dans cette intention, quelques-uns se rendirent à la salle du Val-aux-Clercs, mais ils trouvèrent la porte close. Dans l’intervalle, en effet, M. N. De Buissy, directeur des Enfants de Fécamp, avait appris l’intention de ses sociétaires et, le 25, il leur envoyait la lettre suivante :
MUSIQUE MUNICIPALE “Les Enfants de Fécamp”
Fécamp, le 25 octobre 1909
Monsieur,
Comme suite à votre démission envoyée ces jours derniers, je vous prie de vouloir bien rapporter, samedi prochain 30, sans faute, votre matériel de musicien. Je me tiendrai à votre disposition dans la salle des répétitions, de 8h ½ à 10 heures du soir, pour prendre livraison, contre échange d’un reçu que je vous remettrai.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Le directeur : N. De BUISSY
C’est donc ce soir samedi que se dénouera définitivement la crise de la Musique Municipale. M. le Maire assistera sans doute à cette remise d’effets et peut-être essaiera-t-il, une dernière fois, de convaincre les musiciens. Réussira-t-il à rétablir l’harmonie ?... C’est ce que nous dirons mercredi.
Tels sont les faits dans leur simplicité. Nous les avons exposés aussi impartialement que possible, sans prendre parti, nous le répétons, ni pour les uns ni pour les autres. Cette querelle ne nous touche que comme informateur et parce que peut-être il est intéressant de montrer à M. le Maire les dangers de la démagogie et comment le fabuliste avait raison qui conseillait de ne pas réchauffer de serpents dans son sein. La crise de la musique municipale est, à ce point de vue, féconde en enseignements. C’est, en miniature, l’histoire du parti radical tout entier.
Désiré Lacoudre.
La Crise de la Musique Municipale : DISSOLUTION DÉFINITIVE
Ainsi que nous l’avions annoncé dans notre dernier numéro, les membres démissionnaires des Enfants de Fécamp se sont rendus à la salle du Val-aux-Clercs et ont remis leurs effets et instruments, en échange desquels M. de Buissy leur a délivré un reçu. Contrairement, pourtant, à nos prévisions M. le Maire n’assistait pas à cette remise solennelle
Voilà donc définitive la dissolution de la Musique Municipale. Verrons-nous renaître maintenant une musique indépendante ?... Tout est possible, et nous savons que des mécontents du Conseil Municipal, dont les noms sont sur toutes les lèvres, n’en seraient pas fâches.
Quant à l’incident qui a provoqué cette dissolution, nous l’avons exposé assez longuement, croyons-nous, pour ne pas avoir à y revenir avant que M. le Maire n’ait fourni les explications qu’il nous a promises. Nous voulons croire qu’elles ne seront pas dans la note des communiqués publiés par son journal officiel et que les documents y remplaceront de fantaisistes et peu spirituelles affirmations.
M. le Maire prétend que le caractère grivois des chansons lui a déplu. La lettre de l’inspecteur primaire et celle qu’il adressa lui-même à M. Leballeur ne concordent pas avec cette prétention. Toutes les deux parlent de “tendances” et l’une “d’opportunité”. Ce dernier mot est surtout le bon. Après le palabre du candidat, tout disposé, parait-il “à voter de nouveaux impôts pour les réformes sociales” (la phrase, soit dit en passant, a disparu du texte officiel) et promettant aux électeurs une foule de bonheurs et de réalisations, les chansons de Montéhus avaient jeté un froid, d’autant mieux que les ouvriers les avaient bien comprises et les applaudissaient. Le choix était, en effet, déplacé en la circonstance !...
Voilà selon nous, la seule portée de l’incident. Les raisons que donne M. le Maire pour expliquer son ressentiment ne peuvent nous faire oublier les faits. Il parle du respect dû à la femme et à l’enfant. Nous le professons sans doute autant que lui ; mais en la circonstance, il ne s’agit pas de cela ; le journal officiel a sans doute commis une erreur de composition, et la phrase exacte était vraisemblablement celle-ci : le respect dû au maire et à son filleul. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Désiré Lacoudre.
LA DEMISSION DE LA MUSIQUE
M. le Maire confirme nos renseignements. C’est par scrupule (?), dit-il, qu’il s’est adressé à M. Foubert. M. Toutain proteste énergiquement, l’ordre du jour.
“Constatons tout d’abord un fait. M. le Maire le premier, M. Lhonoré ensuite ont confirmé entièrement nos renseignements et authentiqué, si l’on peut dire, le récit que nous avons publié, dans notre numéro du 30 octobre dernier, des évènements qui ont provoqués la démission des Enfants de Fécamp. On s’en rendra compte, au reste, en lisant le rapport, le plaidoyer devrais-je dire, que M. le Maire a lu au Conseil et que nous reproduisons ci-dessous. Nos lecteurs – plus heureux en cela que ceux du journal officiel – auront donc eu en mains tous les éléments du procès, ainsi que les explications des deux parties. Et ainsi se démontre une fois de plus que nous ne craignons pas la lumière et que c’est plutôt dans la maison d’en face qu’on aimerait à la mettre sous le boisseau.
“Et ceci nous met à l’aise pour désapprouver très énergiquement l’attitude du Maire en la circonstance. Il s’est conduit, vis-à-vis de M. Leballeur, d’une façon légale peut-être mais dépourvue de toute noblesse. Les réflexions de M. Toutain – avec lequel pourtant nous sommes rarement d’accord – seront à ce point de vue approuvées par tous ceux qui n’ont pas fait acte de soumission absolue au régime autoritaire que nous subissons. Notez bien qu’il ne s’agit pas de savoir en la circonstance si M. Leballeur a eu tort ou raison de chanter au banquet du 10 octobre les chansons que vous savez. Elles pouvaient ne pas être de circonstance ; mais il y avait mille autres procédés pour le faire sentir à l’intéressé que celui d’aller se plaindre à un chef hiérarchique quelconque.
“Il est vrai que M. le Maire se défend d’avoir déposé une plainte. Il joue sur les mots, il ergote. – “Je me suis contenté, dit-il, pris par un scrupule (!) de demander conseil à l’inspecteur primaire.” Il prend bien soin, d’ailleurs, de ne pas nous donner le texte de sa lettre à M. Foubert. C’est tout simplement merveilleux ! Que dites-vous de ce scrupule ; ne trouvez-vous pas que cela mérite des félicitations et des louanges ? Admirable scrupule en vérité ! Eh quoi, alors qu’il était si simple de ne pas accorder à l’incident plus d’importance qu’il n’en valait, si besoin était, de morigéner M. Leballeur, M. le Maire trouve tout naturel, non pas de se plaindre, ah fi ! mais de signaler le cas à M. Foubert, en lui demandant conseil, comme s’il n’ignorait pas que cette démarche constituera pour l’instituteur une mauvaise note qui le suivra jusqu’à la fin de sa carrière.
“Ah non ! le scrupule a beau être une trouvaille, le procédé n’est pas joli. Quand on veut faire son président du Conseil et user de l’autorité que vous confère la loi, on doit la faire carrément, sans réticences ni restrictions mentales. En l’occurrence, il fallait se plaindre ou ne rien dire, sans user d’un subterfuge indigne d’un magistrat municipal et que Basile lui-même – ce basile que les radicaux fécampois nous jettent si souvent à la face – n’aurait pas osé employer.
“Mais M. le Maire ne pense qu’à l’effet produit par les chansons ! Cela songe-t-il, a été un gros scandale. A la vérité, on ne s’en est guère aperçu : tout le monde a applaudi, tous les ouvriers présents ont approuvé, le Journal officiel lui-même a, dans son compte-rendu, félicité le chanteur : Faudrait-il donc croire que seuls le conférencier et son parrain se soient sentis touchés ? Il fut un temps où M. le Maire était moins chatouilleux, un temps où un conseiller municipal pouvait chanter l’internationale dans une cour d’hôtel sans qu’il éprouvât le besoin de protester. Est-ce que la fonction, ce jour-là, ne suivait pas l’individu ? Les circonstances où certaines présences influent-elles donc tellement sur mon jugement ?
“Le Conseil Municipal, sauf cinq de ses membres, a approuvé les déclarations du Maire. Nous n’en sommes pas surpris, connaissant l’indépendance de nos édiles. Il n’empêche que M. le Maire ne sort pas grandi de l’incident ; il apparait au contraire qu’il ne doit sa victoire qu’à des artifices de langage et à des procédés que nous préférons ne pas qualifier.
“Mais - et c’est ce qu’il importe de souligner – il demeure bien établi que les chansons incriminées ont surtout déplu parce qu’elles semblaient viser la fine fleur du parti radical présente au banquet. C’est une occasion excellente pour ces messieurs d’apprendre que la réclame électorale est, elle-aussi, une question d’opportunité, et de se souvenir d’un vieux proverbe, un peu frustre d’expression peut-être, mais bien juste d’idée : il n’y a que les ….. qui se mouchent !
Désiré Lacoudre
A nouveau reformée, les précédents conflits perdurent, et le 18 juin 1910, un concert qui devait avoir lieu place Thiers, a été supprimé par le maire, à cause d’un désaccord survenu la veille. Pour protester, 25 à 30 musiciens ont parcouru la ville à l’heure où le concert devait avoir lieu, en chantant un certain refrain qu’un instituteur de la ville, dans un banquet de la Fraternelle, avait déjà fait entendre et qui avait fort déplu au maire M. Duglé.
C’est à nouveau la dissolution jusqu’au 26 avril 1911, où le Conseil municipal vote la reconstitution d’une Musique Municipale. Sur la proposition du maire, le conseil municipal nomme MM. Renault, Moulin, Caniel, Louis, Delarue, Petit, pour faire partie du conseil de la nouvelle fanfare municipale.