La CRISE de la MUSIQUE MUNICIPALE
Le 10 octobre 1909, 27 membres donnent leur démission, ce qui entraîne la dissolution !
Journal de Fécamp 24 octobre 1909
Nous avons relaté brièvement, jeudi, la démission d’une trentaine de musiciens des Enfants de Fécamp, démission survenue à la suite d’une querelle entre un des musiciens et M. le Maire. Malgré le mutisme officiel et la manière huis-clos dont on prétendrait entourer ces incidents, nous avons pu nous procurer quelques renseignements ; et voici, croyons-nous, la genèse de cette nouvelle histoire municipale.
Le musicien dont il s’agit est M. Leballeur, instituteur à l’Ecole du Port. Se trouvant, il y a quinze jours, dans un banquet de société, il fut prié, au dessert, de chanter “quelque chose”. C’est le choix de ses chansons qui déplut à M. le Maire ; c’étaient des tirades réalistes, non pas même socialistes, mais surtout anti-arrivistes et désabusées, mises à la mode il n’y a pas mal d’années déjà par Jehan Rictus et continuées depuis par les Monthéus et tutti-quanti, avec peut-être un peu plus de rancœur et de colère : couplets en quelque sorte anarchistes, au sens philosophique du mot, en tout cas couplets anti-électoraux si l’on me permet cette expression. On conçoit qu’en la circonstance, ils étaient déplacés !..
Au reste, ceci nous importe peu. Le fait, c’est que M. le Maire se froissa de ces chansons et qu’il crut y voir des allusions désobligeantes. C’est ce qui explique sans doute que, quelques jours après, M. Leballeur était appelé chez M. L’inspecteur d’académie qui lui demandait des explications. C’est, je crois bien, ce qui a froissé le plus les camarades du jeune instituteur. Ils se sont montrés quelque peu surpris de ce que M. le Maire avait déposé une plainte contre le chanteur, sans avoir auparavant appelé celui-ci à son bureau.
“Que diable ! nous disait hier quelqu’un, il fallait prévenir que le bureau de police était changé de place !”
Bref, les musiciens des Enfants de Fécamp, prenant fait et cause pour leur camarade, ont décidé de ne pas reprendre l’uniforme ni le rang, tant que M. le Maire ne serait pas revenu à de meilleurs sentiments.
Voilà où en est la crise de la musique municipale et quelles en sont les causes. Nous n’avons pas à prendre parti, actuellement du moins, ni pour les uns, ni pour les autres ; mais nous tenions à informer nos lecteurs de ces événements, puisque l’organe officiel de M. le Maire a cru bon, dans cette affaire comme dans tant d’autres, de garder le silence.
Désiré Lacoudre.
Journal de Fécamp : 31 octobre 1909.
POURQUOI ILS ONT DÉMISSIONNÉ !..
Où l'on va prendre l'Administration Musicale en flagrant délit de ... “erreurs voulues”
L’histoire complète d’une grève de musiciens.
Il y a un art du démenti. Ceux qui en voudraient connaître les principes pourront s’adresser en toute sûreté au journal officiel de la Mairie qui le pratique avec une maestria digne d’un meilleur sort. Je n’en veux pour preuve que la querelle qu’il nous cherche au sujet de cette crise inattendue de la Musique Municipale.
On n’a pas oublié la note que nous consacrions il y a une dizaine de jours, à cet incident. Nous y disions qu’à la suite d’un banquet de société, au cours duquel M. Leballeur avait chanté, celui-ci – dont les chansons avaient déplu à M. le Maire – avait été appelé chez l’inspecteur d’Académie et que ses camarades de la musique avaient par esprit de solidarité, démissionné. Nous ne faisions que répéter ce qui se disait en ville, le journal officiel de la Mairie ayant cru devoir garder le silence. Ce n’est en effet, qu’après notre article qu’il s’était décidé à annoncer, d’une façon mystérieuse la démission de plusieurs membres des Enfants de Fécamp.
Qu’il y eut dans notre récit des inexactitudes de détail, c’était possible, et nous les eussions nous-même rectifiées dès avis. Le journal officiel de la Mairie a préféré prendre une autre méthode ; et c’est sans barguigner qu’il écrit “ le récit du Journal de Fécamp est un tissu d’erreurs voulues” et plus loin : “jamais, à propos des chansons dont parle le Journal de Fécamp, M. le Maire n’a adressé de plainte à l’Inspection Académique et M. Leballeur n’a été appelé chez aucun de ses supérieurs”.
Admirez la forme de ce démenti ; à première vue il signifie qu’il n’y a pas eu d’incident Lebaleur, et voici pour calmer peut être certaines susceptibilités ; au fond, il n’y a que le mot n’a pas été appelé qui compte, et ceci laisse la porte ouverte. En effet, M. Leballeur n’a pas été appelé près de ses supérieurs, mais, comme on le verra plus loin, il a reçu de M. Foubert une demande d’explication, et lui-même s’est rendu le 14 octobre chez l’Inspecteur primaire.
Voilà, entre plusieurs, un exemple de démenti !...Vous allez en voir bien d’autres, car pour permettre à tous de juger en toute connaissance de cause ce récent incident, nous allons exposer très impartialement les événements dans leur ordre chronologiques. Mais je veux auparavant souligner un autre procédé de notre confrère ; parlant de “nos erreurs voulues”, il écrit : “ Nous relevons uniquement celle qui tend à justifier la démission de certains membres de la Musique.” Or, j’avais précisément Nous n’avons pas à prendre parti, actuellement du moins, ni pour les uns, ni pour les autres ; mais nous tenions à informer nos lecteurs de ces évènements, puisque l’organe officiel de M. le Maire a cru bon, dans cette affaire, comme dans tant d’autres, de garder le silence.
C’était donc bien, dans notre pensée, une information qui, je tiens à le répéter, pouvait, comme toutes ses pareils renfermer des inexactitudes de détail. Nous rectifierons volontiers en même temps que nous allons faire apparaître, mais cette fois chez l’organe officiel de la Mairie, ces “erreurs voulues” que peut être nous pourrions qualifier plus sévèrement encore.
Le 10 octobre, au banquet d’une société de notre ville – dont le nom n’importe pas dans l’affaire – M. Leballeur interpréta deux chansons : l’une intitulée “ On ne devrait pas vieillir” l’autre “Bibi j’m’en f…” En voici le texte intégral.
Si ces chansons-là n’ont pas, avant tout, le caractère anti-arriviste, et surtout anti-électoral que nous leur prêtions, je veux bien immédiatement reconnaître que le journal officiel de la Mairie est le plus loyal des confrères. Et voilà une première des “erreurs voulues” que je tenais à relever.
Ce n’est pas la seule. Le factotum de l’Administration affirme que “ M le Maire n’a jamais adressé de plainte à l’inspection Académique”. Voyons les faits. Le 12 octobre M. Leballeur recevait, par la voie hiérarchique, une lettre de M. Foubert dans laquelle celui-ci l’informait qu’il avait reçu une plainte d’un personnage de Fécamp contre M. Leballeur, qui avait chanté à un banquet des chansons à “tendances révolutionnaires et anarchistes et parsemées de paroles grossières.” L’Inspecteur priait Leballeur de lui adresser le texte des chansons. L’instituteur fit mieux, il se rendit lui-même chez son supérieur le jeudi 14 octobre et là, il reçut confirmation de la plainte déposée contre lui par M. Duglé, Maire de Fécamp. Aussi bien, M. le Maire, rencontrant quelques jours après (le 21, je crois), au Havre, M. Fosse, préfet de la Seine-Inférieure, lui faisait part de l’incident ; ce qui devait, à la réunion de samedi provoquer cette interruption de M. Paimparay : “Alors, l’affaire de Leballeur est claire.” A part cela, évidemment, M. Le Maire ne s’est plaint à personne. Seconde “erreur voulue” du journal officiel. Le démenti, vous dis-je est un art.
Mais, d’autre part, le 13 octobre, M. Leballeur avait reçu de M. Duglé lui-même, une lettre de protestation. M. le Maire se plaignait à M. Leballeur de ce qu’il avait “entendu des chansons dont il ne voulait discuter ni l’opportunité ni la tendance” mais qu’il trouvait “déplacée dans une telle circonstance.” Il lui reprochait d’avoir ainsi “manqué de tact et de bonne éducation”, ce qui était déplorable chez un instituteur. (Quand Scapin vous le disait qu’il y avait, en politique, un sens de la situation !) la lettre municipale se terminait enfin en priant M. Leballeur de se reporter au discours de M. Briand à Périgueux. Pourquoi ? Mystère et politique.
A moins que le dictionnaire français n’ait complétement perdu tout sens, j’imagine que cette lettre, si impulsive qu’elle puisse être, est assez explicite. M. le Maire peut nous faire dire par ses défenseurs habituels que personne n’a entendu dans les chansons de M. Leballeur ce que nous prétendons ; il peut, comme il l’a fait samedi, à la réunion de la Commission, affirmer qu’il s’est uniquement froissé de leur caractère grivois ; Scripta manent ; et l’on voit ce qu’il faut penser des démentis officiels. – Troisième erreur voulue !
En voici encore une autre. Les termes assez ambigus de l’article publié mercredi par la feuille du Boulevard pouvaient laisser entendre qu’il n’y avait rien de commun entre l’incident Leballeur et la démission des Enfants de Fécamp. Voici exactement ce qui s’est passé :
M. Leballeur, estimant qu’il avait assisté et chanté au banquet, non comme instituteur, mais comme membre de la Musique Municipale, et que la lettre du maire ne lui permettait pas de demeurer dans cette société, envoya, le 17 octobre, sa démission qui fut acceptée.
Et c’est à la suite de cette démission que les 27 membres des Enfants de Fécamp, prenant fait et cause pour leur camarade, informèrent la Mairie par une lettre en date du 19 octobre, qu’ils se solidarisaient avec M. Leballeur et le suivaient dans sa retraite !... Dernière “erreur voulue”
Résumons-nous. Le journal officiel de ma mairie nous a opposé, mercredi, un quadruple démenti, en affirmant, que :
1° Le Maire de Fécamp n’avait adressé aucune plainte à l’inspection Académique ;
2° M. Leballeur n’avait été appelé chez aucun de ses supérieurs ;
3° Les chansons incriminées avaient un …. tout autre caractère que celui que nous lui prêtions ;
4° La démission des Enfants de Fécamp était indépendante de l’incident Leballeur.
Les documents que nous avons commentés plus haut ont répondu suffisamment, je pense, à ces quadruples affirmations. Nous laissons aux lecteurs le soin d’en tirer la morale… et nous passons !...