C’est la franco-américaine Jane Herveu, accompagnée de Leon Molon et Eugène Lesire, qui tient la “vedette” de cette fête, En l’absence de terrain approprié, c’est sur l’Hippodrome de la Côte-de-la-Vierge, qu’elle va avoir lieu. Mais les choses, ne passeront pas telles qu’on l’aurait souhaité.
Pour nous en faire le compte-rendu, laissons la parole à Désiré Lacoudre, rédacteur au Journal de Fécamp et à son article, plein d’humour, du 29 août 1911.
L’AVIATION À FÉCAMP …. Ou l’ouverture de la chasse au lapin
C’était dimanche l’ouverture de la chasse. Pendant que les privilégiés de la fortune allaient à la conquête des lièvres et des perdreaux, les humbles qui composent la masse s’en furent, eux aussi à la chasse… à la chasse au lapin. Celle-ci, en effet, dura deux jours, sur le champ de courses, sous le nom de meeting d’aviation.
Donc plusieurs milliers de personnes bravant la chaleur et le soleil, avaient fait l’ascension de la côte de la Vierge, et trois heures n’étaient pas encore sonnées que déjà les “parcs” étaient combles. Près de la tribune officielle, dans les hangars (?) on travaillait énergiquement à monter le biplan Sommer et le monoplan Blériot. Le public, d’abord, manifesta de la patience. On chantait, il faisait beau, le vent tombait. Après tout, voir un vol vaut bien quelques minutes d’attente….
Quand il fut cinq heures et demie, un cri de joie s’éleva d’un bout à l’autre de la piste. Le monoplan venait d’être amené au pont de départ. Une pétarade de tous les diables : c’est le moteur qui ronfle. Mme Jane Herveu, qui est à bord, fait un signe et l’appareil démarre. Pendant une centaine de mètres, il roule, puis il décolle et s’élève à quelques mètres. On applaudit… un peu trop vite, car le Blériot redescend et Mme Herveu fait de même. Elle n’ira pas plus loin. Il y a du public trop près pour virer, des remous, une foule de choses, quoi ! Le Blériot, soutenu par les mécanos, regagne le hangar.
À ce moment, le biplan…, n’étant pas encore prêt, tout est arrêté sur la piste et le public commence à réclamer. Jane Herveu ne veut rien savoir pour regagner sa place : le terrain est impossible et son moteur, trop faible, ne lui permet pas de prendre assez de hauteur pour virer au-dessus de la foule et éviter le remous provoqué par les falaises.
Mais Molon est là. Il veut bien accepter de sauver la situation, seulement il faut changer le sens des commandes du gouvernail…. Ce qui demande encore une petite heure. À sept heures, enfin, Molon prend son départ, il roule en ligne droite, mais ne décolle pas ; il revient s’élève à un peu plus d’un mètre et atterrit aussitôt ; repart une troisième fois, s’élève, mais en voulant virer tombe sur l’ale droite. On se précipite ; la roue est cassée, le châssis est en partie brisé, il faut une journée de réparation. Et le grand oiseau blessé rentre au hangar.
Seulement, pendant ce temps, ma piste a été envahie et le biplan qui, prêt à partir, allait être amené, rentre aussi au bercail. – il est sept heures et demie.
D’ailleurs la nuit tombe. Alors, c’est une cohue autour du hangar. Le public crie, se fâche, menace. – Pendant dix minutes, c’est une véritable émeute en miniature. Puis le calme renaît et les pompiers de service demeurent bientôt seuls auprès des mécanos qui pansent le monoplan.
Incident drôle. Pendant la nuit, les ouvriers et le service d’ordre sont soudain surpris par le brusque bruit d’une forte détonation. Braconnier, saboteur, anarchiste… toutes les hypothèses sont permises. Voilà donc tout le monde sur pied : on court, on vole (ce qui est une façon de parler) et l’on s’aperçoit soudain que c’est tout bonnement le pneu d’une roue d’atterrissage qui a éclaté. Beaucoup de bruit pour rien. C’est d’ailleurs le proverbe qui convient le mieux à cette exhibition. On espérait au moins que si ç’avait été vrai pour dimanche, ce serait le plus pour lundi. Encore qu’on eût à nouveau fait payer les entrées, ce qui entre nous, est excessif, le public était malgré tout venu nombreux. On avait annoncé qu’on volerait coûte que coûte et la fièvre qui régnait dans le hangar de Jane Herveu pouvait faire supposer que, cette fois, le public en aurait pour son argent.
À six heures et demie, on amène le biplan. Premier incident, il n’y a pas de pilote, ceux qui sont engagés n’ont pas leur brevet. Or, il est formellement interdit de monter sur un appareil en public sans le dignus intrare. Heureusement, il y a là, dans la foule, l’excellent aviateur Lesire qui a fait en divers endroits et à Bordeaux notamment de si belles envolées.
Il veut bien accepter de piloter le Sommer. Le voilà monté, on tourne, le moteur ronfle. Lesire va donner le signal du départ, quand soudain, un bruit sec : c’est l’hélice qui éclate, projetant ses morceaux à l’entour. Emotion indescriptible. Dieu merci, il n’y a pas de blessés, mais les pals de l’hélice ont “fusillé” le moteur et un certain nombre d’autres pièces et le biplan réintègre le domicile paternel aux cris hostiles de la foule. Il faut évidemment regretter ce stupide accident qui nous a certainement privés d’une très belle envolée, car Lesire, un de nos meilleurs pilotes actuels, eût tenu à faire plaisir à nos concitoyens
Restait encore le monoplan de Mme Herveu. Soudain, dix minutes avant qu’on ne mette l’appareil sur la piste, on s’aperçoit que la membrure qui porte l’effort de l’aile droite est fendue. Sur ce, Mme Herveu déclare nettement qu’elle ne partira pas, ne voulant pas imiter Chavez. Après une violente discussion, Mme Herveu accepte qu’on essaie une réparation de fortune. Mais, un quart d’heure plus tard, elle se déclare dans l’impossibilité de sortir et prie d’annoncer qu’aucun vol n’aura lieu.
Alors la foule réédite le coup de la veille. Voici la piste envahie, les hangars entourés et les cris s’élèvent à nouveau, tandis qu’un huissier flanqué de commissaire de police saisit tranquillement l’appareil de Mme Herveu. – Seulement, demande quelqu’un, remboursera-t-on les places ?
Ainsi finit, moins tragiquement qu’on eût pu le craindre, cette fantastique chasse au lapin dont on se souviendra longtemps et qui fera la fortune des revuistes locaux de fin d’année. Nous avons tenu à la “reporter” sans exagérations ni commentaire. Ce sont des histoires qui valent surtout par elles-mêmes. Seulement, tout de même, cette exhibition est venue un peu trop tôt. Ce n’est que dans un mois que s’ouvre la saison des poires.