FECAMP FESTIF - La FÊTE DANS LES ENTREPRISES
D'après des documents, gracieusement mis à notre disposition par la famille Le Grand.   
Dernière mise à jour 23 mars 2017                                                            



: 6 juillet 1913

Les Fêtes du Cinquantenaire de la Bénédictine.
 

Ce sont des fêtes vraiment curieuses et d’un caractère bien particulier qui mettent aujourd’hui en joie la ville de Fécamp. Elles ont pour prétexte le cinquantenaire de la rénovation de la Bénédictine et ont été organisées de main de maître.

Pour avoir une idée de cette organisation, il suffisait d’assister, hier vendredi, vers six heures de relevée, à l’arrivée en gare de Fécamp du train spécial qui amenait de Paris les invités de MM. Le Grand. La place de la gare était noire de curieux – naturellement – et aussi d’employés de la puissante maison de commerce, munis, pour la plupart, de larges écriteaux blancs, sur lesquels figuraient en lettres noires, le nom des principales rues de la laborieuse cité et celui des hôtels.

     Car pour assurer le logement à leurs milliers d’invités MM. Le Grand ont dû non seulement faire le trust de toutes les chambres des auberges mais aussi celui de toutes les chambres meublées existant en ville. De sorte que le malheureux voyageur isolé qui vient aujourd’hui à Fécamp, ne sait où se loger. A prix d’or il lui est impossible de trouver un oreiller où poser sa tête et sa seule ressource est d’aller coucher sous les ponts.


     Et ceci explique la présence devant la gare de ces employés porteurs de pancartes dont nous parlions tout à l’heure. Comme chaque invité a reçu depuis une quinzaine de jours un carton où sont indiqués et l’hôtel où il doit prendre ses repas – aux frais de la Bénédictine, bien entendu – et le lieu où il logera, rien n’est plus facile aux arrivants que de se guider dans cette foule curieuse. On se groupe donc par écriteaux, comme des bleus arrivants à la caserne se groupent devant l’écriteau de leur compagnie, et chacun est conduit là où il doit aller.

    Il y a des gens venus de tous les points du globe, dans ces groupes. En dehors de la presse parisienne, et départementale et étrangère qui est représentée, tous les agents de la célèbre marque sont là. On y montre celui de l’Allemagne, celui venu d’Angleterre, celui venu de la République Argentine, de Russie, de Roumanie et d’où encore ! c’est tout juste si on ne vous désigne pas le représentant au Pôle Sud, car maintenant que celui-ci est découvert, la célèbre liqueur française se doit d’y avoir un dépôt. Bref, à l’exemple de Fragerolle qui créa la célèbre Marche à l’Etoile, MM. Le Grand ont, eux organisé la marche de la Bénédictine, marche dont Fécamp est le but suprême. Jamais, croyons-nous

, on n’avait vu cela !...
 

         Nous ne saurions affirmer que tout le monde dormit bien. Il y eut tant d’allégresse venues un peu partout que le sommeil en pâtit. Aussi, de bon matin, les invités de Bénédictine sont-ils debout. Comme la tenue recommandée est l’habit de cérémonie, on assiste, on assiste à ce curieux et imprévu spectacle de rencontrer, dès sept heures du matin en sifflet, huit reflets et escarpins vernis, sur la digue promenade. C’est là un paradoxe, un accro aux règlements du code de la mode, qu’excusent seules les cérémonies auxquelles nous allons maintenant assister.
 

A l’Abbaye de Fécamp

 
     A huit heures un quart, MM. Le Grand et le conseil d’administration de la Bénédictine reçoivent leurs invités dans leurs salons. Foule immense qui s’engouffre dans l’escalier d’honneur, défile devant les notabilités et va se masser dans la cour principale. Là encore il y a des pancartes indicatrices avec ces titres : Conseil d’administration, Actionnaires, Presse, Clients, sous chacun desquels on se masse sagement. Va s’en dire que la pancarte qui attire tous les regards est celle des actionnaires, ils sont là une vingtaine de possesseurs de ces actions dont le taux est aujourd’hui fabuleux et que l’on envie. Quand ils défileront tout à l’heure dans les rues de Fécamp, au milieu d’une double haie de curieux, ils soulèveront une certaine curiosité.

 

Galerie de souvenirs - Documents aimablement mis à notre disposition par la famille Le Grand


   

Ce cortège qui compte au moins un millier de personnes, suit l’Harmonie de la Bénédictine qui le mène à l’abbaye, où doit être célébré une messe solennelle. Au moment où le cortège arrive devant la vieille église, Mgr Fuzet, archevêque de Rouen, et Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux – qui assistent à la cérémonie, le premier comme archevêque de Rouen, le second comme … enfant d’Etretat et par conséquent ami de M. Le Grand – sortent du presbytère, solennellement précédé du clergé.


     L’abbaye a été décorée de drapeaux tricolores et d’écussons. Derrière le cortège officiel, une foule d’au moins cinq mille personnes s’y engouffrent et la messe commence. Les stalles du chœur sont pleines. Aux premiers rangs, on remarque la présence de MM. Brindeau, Louis Quesnel et de Las Cazes, sénateurs ; Georges Ancel, député ; Bettencourt, conseiller d’arrondisse ment, venus là, au titre d’amis.

 

     Pendant la messe, l’harmonie de la Bénédictine, sous l’habile et intelligente direction de son chef, M. Moreau exécute de remarquable façon plusieurs morceaux : La voix des Cloches, de Luiguini ; Le Dernier Sommeil de la Vierge, de Massenet, et M. Clauzure, basse chantante de l’Opéra de Monte-Carlo, interprète un Pater noster, de Niedermeyer, et un O Salutaris, de César Franck. Puis Mgr Fuzet monte en chaire.

 

     Ayant accepté de présider cette cérémonie il félicite d’abord le conseil d’administration d’avoir voulu que la religion parût la première à ce jubilé heureux et dégage les enseignements qui découlent de ces fêtes “par ce temps d’athéisme pratique”.

     De votre activité commerciale, que d’œuvres, dit-il, profitables au bien général n’avez-vous pas fait naître ! Je ne parle pas de la répercussion heureuse qu’a toujours une entreprise bien menée sur la vitalité des entreprises voisines, si dissemblables soient-elles. C’est une loi, on le sait qu’une grande industrie, un puissant négoce, appellent autour d’eux d’autres foyers de négoce et d’industrie, et que la fortune des uns se trouve liée à la fortune des autres. De cette manière d’abord, messieurs, nul ne conteste, vous avez été utile
à votre ville, à votre pays.


     A l’heure où nous sommes, c’est beaucoup par l’extension de leur commerce extérieur que se jugent les peuples entre eux. Qui les enrichit, les grandit ; qui répand le fruit de leur travail est leur bienfaiteur. Ce qu’on pense de vous à ce sujet, bien que de chez vous, Messieurs, la présence à cette fête de vos nombreux représentants à l’étranger n’est pas sans le proclamer avec éloquence. Mais omettons ce point de vue trop vécu. Ce dont je veux parler plutôt, c’est des œuvres Philanthropiques spéciales que votre esprit chrétien fonde et anime.


    Vues du seuil, ces institutions semblent parer votre établissement comme les roses qu’on aperçoit accrochées aux murs des villas en cette saison, lorsqu’on parcourt les chemins qui bordent la mer. La vraie charité inspire toutes ces œuvres. – Ai-je dit la charité ? Ne pouvais-je dire aussi bien la justice ? Car l’organisation en est telle, si équitable si méthodique, que l’on ne sait vraiment, si l’une ne se confond pas avec l’autre.


    La charité ! La justice ! – Voyez : elles sont insinuées tout d’abord au cœur même de la maison ; les voilà qui circulent au cœur même de l’atelier, travailleuses rémunérées comme il convient, en sarrau noir ou en cornette blanche. – Elles se déguisent en Société de secours mutuel (ici membres participants, membres honoraires, bénéficiaires quelques-uns mais tous aidant) et elles prémunissent contre l’invalidité, la vieillesse la maladie. - Elles rayonnent aux alentours et elles sèment sur tous leurs pas des bienfaits en tout genre : Qu’est-ce que ces Ecoles libre, qu’est-ce que des Patronages, sinon elles en leur intelligence exquise des besoins du peuple à l’heure présentent. – Elles interrogent, elles explorent ; avec une discrétion sagace, elles devinent : et elles savent apporter à maints endroits, où cela est utile une aide privée volontairement obscure. – L’Eglise et le culte même ne les ignorent pas : elles passent chez eux de temps à autre, à l’époque des spoliations surtout, et sans ostentation pleines d’efficace sympathie, elles ont toujours dans leur visite la main ouverte….


     Ainsi messieurs, avez-vous su porter dignement et généreusement une prospérité qui a tous profitèrent un peu. Faisaient-ils autrement, les moines dont le souvenir s’évoque en ces lieux et dont le nom est inséparable du vôtre ? D’eux aussi, la force de l’association, les initiatives puissantes, la sagesse du travail continu avaient fait des opulents. Ils ne le furent que pour avantages de tous. Les monuments qu’ils élevèrent en témoignent, mais pas eux seuls. Les mille à douze cents personnes qui jadis frappaient à leur porte chaque jour, et recevaient leur aide, ont transmis aux générations présentes la reconnaissance de leur temps. Ils furent durant de longs siècles, l’honneur de la cité, qui les bénit encore.


     Vous avez recueilli, Messieurs, quelque chose de leur héritage ; une parcelle, minime sans doute, mais précieuse : le secret de ce breuvage savant, fin, agréable, gai comme tout ce qui nait du sol ou du génie de la France, j’allais dire esthétique, tant il est composé avec art, par lequel ils guérissaient, réconfortaient les habitants de cette contrée, et que vous avez su répandre aux quatre coins du monde, sous l’égide de leur nom et de leur armes, et vous avez à cœur de perpétuer dans ce pays qui leur fut si cher les traditions de leur séculaire bienfaisance.


     Gardez-les pour l’avenir, ces traditions, avec leur foi que vous professez hautement. Entretenez-les comme vous les avez entretenues pendant ce dernier demi-siècle ! Et puissent vos succès, accrus toujours, s’il est possible, rester longtemps un bien public.

    La cérémonie terminée, solennellement, et aux sons de la Marche nuptiale de Mendelssohn, les prélats regagnent le presbytère au milieu d’une assistance énorme.