Le samedi 31 juillet 1875, arrive en gare de Fécamp “incognito” l'impératrice d'Autriche “Sissi”. Elle vient sur les conseils de ses médecins se soigner au bord de la mer, cet c'est au château de Sassetot qu'elle va résider.
Pendant son séjour qui va se poursuivre jusqu'au 30 septembre, on peut l'apercevoir venir prendre “les bains de mer” le plus souvent aux Petites-Dalles, mais également à Fécamp, où une cabine de bains lui avait été installée. On connait en outre sa passion pour le cheval, et les longues promenades équestres qu'elle faisait seule.
Le Comité des Courses fécampois, se devait de l'inviter pour les courses annuelles du mois d'août......
10 août 1875
Le petit hippodrome de Fécamp n’en est qu’à sa troisième année d’existence, et il est devenu le rendez-vous des baigneurs de la ville et des localités voisines. Malgré la concurrence des courses de Deauville, très suivies par le high-life, l’hippodrome de Fécamp présentait hier un aspect très animé.
Quand on arrive en chemin de fer, on est tout étonné, en levant les yeux, d’apercevoir, à deux cents pieds au-dessus du niveau de la mer, sur une véritable montagne, l’ossature élancée des tribunes.
Mais la route qui mène aux courses vous ménage bien des surprises. Le chemin, assez abrupt, contourne le bord d’une gigantesque falaise, et même, à un des coudes de la route, un écriteau défend aux chevaux de prendre le trot, précaution nécessaire, car, à cet endroit, la falaise est presque à pic. Un véritable enchantement vous attend à l’arrivée, la piste de Fécamp est sans contredit, celle qui se trouve placée dans la plus pittoresque situation, si les abords en sont difficiles, on en est dédommagé par le merveilleux panorama qui se déroule de tous côtes.
Au commencement de la journée, la brume assez épaisse qui couronnait les hauteurs, en cachait les contours et donnait à la campagne environnante, un ton gris sur lequel la verdure se détachait vigoureusement. La mer semblait un immense nuage, joignant le ciel et la terre, peu à peu le soleil s’est levé, et vers quatre heures il était dans tout son éclat. La mer, calme et du bleu le plus profond s’étend à perte de vue, sans un bateau, sans un voile, on peut voir alors distinctement les maisons du petit village d’Yport, et d’un autre côté la ville couchée au pied de la falaise dont les maisons s’étagent sur les hauteurs opposées, vides de leurs habitants, car tout le monde est aux courses et les tribunes sont remplies de toilettes les plus élégantes.
Entre les deux grandes tribunes, on avait installé une petite tribune garnie de velours frangé d’or et pavoisée de drapeaux autrichiens. L’impératrice d’Autriche, qui garde strictement son incognito, n’a pas assisté aux courses ; une seule personne de sa suite, son chambellan, était présent.
Nous avons remarqué aussi M. Febvay, le sous-préfet du Havre, M. Larmoyer, conseiller de préfecture ; M. Corneille, conseiller d’arrondissement ; M. Dubois, maire de Fécamp ; M. le général Blanchad, et parmi les sportsmen : MM. De Bosmelet, Bouju, Saint-Ouen, A. Duhamel, l’organisateur des courses de Veulettes.
La réunion de Fécamp a voulu prouver qu’elle était à la hauteur de tous les progrès, et elle s’est offert le luxe d’une bouquetière, dont l’air ingénu et la toilette de première communiante détonnent un peu dans ce milieu de sportsmen et de jockeys.
Voici le résultat des courses :
- Première course. – Prix de la ville de Fécamp (au trot attelé). – 1 000 Fr., dont 800 Fr. au 1er et 200 Fr. au 2e, pour chevaux entiers, hongres et juments de toute espèce, nés ou élevés dans les départements de la Seine-Inférieure et de la Somme, âgés de 4, 5 et 6 ans – les chevaux de 5 et 6 ans seront à réclamer pour 3 000 Fr. – Entrée : 25 Fr. au 3e, jusqu’à concurrence de 100 Fr.- Distance : 3 400 mètres environ.
Cinq chevaux engagés, trois ont couru : Champion et Flora, à M. Bouju ; Patrie, à M. Frichet. Champion fait son jeu et laisse passer son camarade d’écurie ; mais l’Outsider, de M. Bouju, prend le galop et se trouve distancé par Patrie, Champion reprend alors son avance et gagne facilement en 5min 54s. ; Patrie, deuxième, en 6min 3s. ; Flora, troisième, 6min 10s.
- Deuxième course. - Prix du Conseil général (au trot monté). – 1 200 Fr., dont 1 000 Fr. au 1er et 200 Fr. au 2e, pour chevaux entiers, hongres et juments de toute espèce, nés ou élevés dans les départements de la Seine-Inférieure et de la Somme, âgés de 4, 5 et 6 ans – les chevaux de 5 et 6 ans seront à réclamer pour 3 000 Fr. – Entrée : 30 Fr. au 3e, jusqu’à concurrence de 100 Fr.- Distance : 3 400 mètres environ.
Sept chevaux engagés, trois ont couru : Indiscrète, à M. Merlin ; Clerette, à M. Lanfray ; Lorette à M. Saint-Ouen.
Lorette, montée par son propriétaire, arrive première à 6min 20s. ; Indiscrète, seconde en 6min 20s. ; Clerette, troisième en 6min 30s.
- Troisième course. – Prix du chemin-de-fer (course de haies). 1 200 Fr. pour tous les chevaux n’ayant pas gagné, en 1875, une course à obstacles de 3 000 Fr. (y compris les entrées). – Entrée : 50 Fr. au 2e jusqu’à concurrence de 250 Fr. – Distance 2 000 mètres environ et 6 haies.
La course de haies a réuni huit concurrents ; deux seulement avaient déclaré forfait.
Partants : Monaco à Cassidy, Marcelle à M. le baron de Bizi, Aladin à M. Boldrick, Squaresail à M. Lanfray, Fleurette à M. le baron Finot, Antivari à M. le comte Delamarre, la Jaunière à M. Baresse, Qui-va-là à M. Padwick.
Course superbe ; les chevaux ont accompli presque tout le parcours, formant un peloton compact ; au tournant, Aladin, monté par Brindle, Monaco, par Cassidy, et Antivari, par Count, se détachent et arrivent presque ensemble, ne précédant que d’une longueur le reste du peloton de tête Monaco 2e, Antivari 3e.
- Quatrième course. – Prix des Haras (au trot monté). - 1 000 Fr., dont 800 Fr. au 1er et 200 Fr. au 2e, pour chevaux entiers, hongres et juments de toute espèce, nés et élevés en France, âgés de 3, 4, et 5 ans – Entrée : 40 Fr. au premier, après que le 3e aura doublé sa mise. - Distance : 3 600 mètres.
Les 3 chevaux engagés sont partis : Rebecca, à M. Duval, première en 7m 15s. ; Quick-Silver (ex Remus), à M. Quevillon, deuxième, en 7min 20s. ; Cocotte, à M. Bouju, mauvaise troisième, en 8m. 20s.
- Cinquième course. – Prix d’Étretat (course plate au galop). – 500 Fr. ajoutés à 50 Fr. d’entrée, pour chevaux entiers, hongres et juments de toute espèce et de tous pays ayant couru dans la course de haies, ou tout autre cheval introduit dans les départements de la Seine-Inférieure, de la Somme et de l’Aisne. Le second retirera sa mise. – Distance : 2 000 mètres environ.
Comme la course de haies, la course plate a vivement intéressé le public.
8 chevaux étaient engagés, 5 ont couru : La Jaunière, à M. Barette ; Qui-va-là, à M. Padwic ; Fleurette, à M. le baron Finot ; Souci, à M. le capitaine Georges ; Marcelle, à M. le baron de Bizi.
Après trois faux départs, la Jaunière, montée par Gardener, mène la course grand train et conserve, jusqu’au poteau d’arrivée, une avance d’une demi-longueur. Trois chevaux semblent avoir fait dead heat pour la seconde place. C’est Qui-va-là, monté par Reanson, qui est second, d’une longueur inappréciable.
Impossible, par exemple, de décerner la troisième place. La réunion de Fécamp ne pouvait espérer un plus brillant succès.
Le retour s’effectue, comme le départ, au pas, et c’est un spectacle curieux que de voir les équipages de toute nature suivre tranquillement ce chemin si contourné, pendant que les piétons descendent, non sans péril, par les sentiers à peine indiqués aux flancs de la falaise.
Cette fois, c’est la géométrie qui a raison et la ligne droite qui triomphe ; beaucoup de piétons sont en bas de la falaise quand la voiture qui mène le retour n’est encore qu’à mi-côte.
Quoique l’impératrice d’Autriche n’ait pas paru hier aux courses, il est probable que ceux dont la curiosité a été déçue hier, pourront se dédommager d’ici peu. On a apporté avant-hier soir au Casino de Fécamp, un petit chalet en bois, qui sera la cabine de l’impératrice Elisabeth, et il ne reste plus qu’à l’aménager intérieurement et à l’installer à la place qu’il doit occuper sur la plage.
Signalons à propos de la course de haies, un détail curieux et unique peut-être dans les annales du sport.
Les huit chevaux sont partis en ligne sans attendre l’ordre de départ ; personne, parmi les propriétaires et les jockeys, n'a réclamé, et les commissaires ont pensé qu’ils n’avaient pas de motifs pour se montrer plus royalistes que le roi.
MM. Levaillant et F. de Bosmelet donnaient les départs. MM. Levaillant du Douët et Félix Ténières étaient juges à l’arrivée.