FÉCAMP-FESTIF - Les GRANDS ÉVÉNEMENTS
Montage réalisé à partir du cadastre Napoléonien, page d'assemblage, du calque de 1968, page d'assemblage
cotes 3P3_1259 - 2023 W213_1. Archives départementales de la Seine Maritime
 
Page créée le 27 mars 2017

     Journal de Rouen :
 
CHEMIN DE FER DE FECAMP - CÉRÉMONIE D’INAUGURATION
 

   La ville de Fécamp avait pris hier, dès le matin, un air d’animation inaccoutumée. Ses établissements publics, ses manufactures, ses ateliers étaient restés fermés, et l’on voyait sa population, aussi active que nombreuse, circuler dans les rues d’un air joyeux et empressé. C’est que les habitants de Fécamp se préparaient à célébrer un événement de la plus haute importance pour l’avenir commercial et industriel de leur localité.
    Bientôt, effectivement, allait avoir lieu l’inauguration de l’embranchement du chemin de fer qui, partant de Beuzeville, se dirige vers la ville de Fécamp pour y porter une activité toute nouvelle.

     La nouvelle voie ferrée ne s’étend pas encore jusqu’aux bassins ni même jusqu’à la ville de Fécamp : la dernière station est, quant à présent, au lieu-dit du Val-aux-Clercs. C’est en cet endroit qu’ont eu lieu hier les principales cérémonies de la fête d’inauguration.

     M. le maire de Fécamp, les adjoints, les membres du conseil municipal, ainsi que tous les maires du canton, s’étaient réunis à l’Hôtel-de-Ville, où est bientôt arrivé M. le curé de l’église de la Sainte-Trinité de Fécamp, accompagné de tout son clergé, qui avait revêtu ses plus riches ornements et que précédait la croix et plusieurs bannières.

    Un cortège nombreux, formé de la réunion du clergé et de la municipalité, s’est dirigé vers la station de chemin de fer. Il était escorté par la compagnie des pompiers et par les préposés de la douane en armes.

     Le départ de la mairie a eu lieu à une heure et demie après-midi, au son des fanfares exécutées par la société musicale dite Mélophile et au bruit des tambours.


     A son entrée dans la belle et riante vallée qui conduit au Val-aux-Clercs, le cortège a été salué par une première salve d’artillerie, tirée du sommet des collines qui encadrent le vallon. La presque totalité de la population de Fécamp était venue se grouper, en habits de fête, sur ces coteaux, qu’elle couvrait en partie et auquel elle donnait un aspect tout nouveau.


    Deux des grandes puissances de la nature semblaient vouloir elles-mêmes prendre part à la fête : tandis que la mer, dont la surface était à peine ondulée, venait, dans son calme majestueux, caresser doucement les falaises de la cité, un soleil digne des plus beaux jours du printemps inondait de ses rayons dorés et déjà chauds le beau site animé par la présence de toute une population heureuse et fière déjà de la destinée prospère qui est promise à son pays.


     Il était deux heures moins un quart quand le cortège est parvenu à la station du Val-aux-Clercs, où était arrivés de Paris, outre un grand nombre d’invités, MM. Goudchaux, Duchatel (frère de l’ancien ministre), Charles Laffite, Alexis Gervais, Dally et plusieurs autres notabilités de l’administration générale des chemins de fer de l’Ouest. On remarquait encore à cette réunion M. le sous-préfet de l’arrondissement du Havre et M. le commandant Robert, membre du conseil général pour le même arrondissement, délégué par M. le préfet de la Seine-Inférieure. Puis venaient la chambre et le tribunal de commerce de Fécamp, ayant à leur tête leurs honorables présidents ; enfin les principaux fonctionnaires de la localité, tels que capitaines de la marine, ingénieurs de divers grades, gardes des eaux et forêts, etc. revêtus de leurs uniformes.


    C’est en présence de cette réunion et de toute la population de Fécamp, groupée comme nous l’avons déjà dit, que M. l’abbé de Bellengreville a procédé à la cérémonie préliminaire de la bénédiction de la voie ferrée et de la locomotive Eauplet n°5, remorquant alors cinq wagons.

Cette locomotive, ainsi que l’extrémité du chemin de fer vers la ville, était pavoisée de drapeaux tricolores, dont les hampes étaient tenues par les principaux des intelligents ouvriers qui ont concouru aux travaux.


    Les préliminaires étaient terminés lorsque M. le curé de la Sainte-Trinité, montant sur l’un des marchepieds de la locomotive qu’il allait bénir, a énuméré dans un discours concis et écrit avec une grande vigueur les principaux avantages que devra retirer prochainement la ville de Fécamp des relations nombreuses que va lui ouvrir son chemin de fer.


     M. de Bellengreville a ensuite ajouté, que, selon lui et selon tout homme vraiment chrétien, le progrès des sciences, qui ressort, comme toute chose, de la volonté de dieu, ne saurait en aucune façon lui être désagréable ; qu’au contraire, dieu se plaisait à manifester de nouveau ainsi sa souveraine puissance. Le digne prêtre a continué en appelant les bénédictions du ciel sur la nouvelle voie, car les appareils qui devront y circuler, ainsi que sur les hommes qui sont chargés des dangereux travaux de leur manœuvre.


     Puis, l’orateur a terminé par des souhaits très affectueux de prospérité pour la nouvelle entreprise. Avant et après ce discours, les salves d’artillerie se sont fait entendre ; puis la Société Mélophile de Fécamp a de nouveau exécuté une gracieuse symphonie, dont les accords se sont mêlés aux bravos qui ont couvert les dernières paroles du prêtre.


     A la suite de plusieurs prières, la bénédiction solennelle de la voie ferrée, des locomotives et des wagons a enfin eu lieu.
Dans le même moment, on a mis en marche la locomotive elle-même, qui est venue passer deux fois en sens inverse, devant la nombreuse assistance, qui a aussitôt fait entendre de frénétiques applaudissements.


    Une vaste estrade en planches avait été élevée vis-à-vis de l’endroit où la bénédiction a été donnée. Cette estrade était remplie par un nombre considérable de dames dont on remarquait les fraîches toilettes.


     Deux heures et demie venaient de sonner quand, la cérémonie étant terminée à la station du Val-aux-Clercs, chacun a repris le chemin de la ville, que l’on a retrouvée fièrement et complétement pavoisée aux couleurs de la France et des puissances alliées. Ces couleurs glorieuses flottaient aussi sur les nombreux navires mouillés dans le port de la ville. MM. les présidents et les membres de la chambre et du tribunal de commerce ont reçu avec courtoisie tous les invités dans les salles du monument construit récemment pour les juges consulaires.


    Un magnifique banquet, auquel les autorités de Fécamp avaient appelé cent quarante convives, a été dressé dans la magnifique et vaste salle capitulaire de l’ancienne abbaye de la Sainte-trinité, dont une partie est occupée aujourd’hui par la nouvelle mairie.

Cette salle, richement décorée, contenait deux tables principales plus une supplémentaire, auxquelles sont venus s’asseoir, à six heures précises, les nombreux convives.


     La cordialité la plus franche n’a cessé de régner parmi les invités jusqu’au moment de leur séparation. Tout avait d’ailleurs été parfaitement ordonné par MM. Les commissaires du banquet, et ils en ont fait les honneurs avec beaucoup de prévenance. Au dessert, M. le maire de Fécamp, se levant, a pris la parole pour porter un toast à l’empereur Napoléon III, qui a été fort applaudi. M. Robert, membre du conseil général, délégué par M. le préfet de la Seine-Inférieure, a exprimé tout le regret que le préfet éprouvait de ne pouvoir prendre part à la réunion qui avait lieu dans la ville de Fécamp, pour laquelle il a une haute considération, et qui aura toujours lieu de reconnaitre son bon vouloir. De vifs applaudissements ont répondu à ce discours, terminé par un toast à M. le préfet.


     M. le président du tribunal de commerce de Fécamp a fait ressortir, d’une manière rapide et concise, l’importance de la marine et du port de cette ville, il a ensuite porté un toast à M. le sous-préfet du Havre. Ce fonctionnaire, prenant la parole, a dit qu’il acceptait avec bonheur, non pour lui, mais pour M. le préfet, la santé qui venait de lui être portée ; puis il a immédiatement proposé un double toast au maire et à la ville de Fécamp. Une triple salve d’applaudissements a répondu avec enthousiasme aux espérances manifestées par l’orateur au sujet de la prospérité de Fécamp et de sa marine.


     M. Freret, président de la chambre de commerce, a immédiatement porté un toast à la compagnie du chemin de fer et à MM. Les ingénieurs, qui ont su diriger les travaux avec un talent peu commun.


     Le représentant de la compagnie des chemins de fer de l’Ouest, M. Duchâtel, a promis aux habitants de Fécamp que leur voie ferrée serait bientôt prolongée jusqu’au quai de la ville dont il a vivement loué le commerce et l’administration. M. Duchâtel a terminé son discours, écouté avec la plus grande sympathie, en portant un toast à l’alliance et a la bonne entente anglo-française – de vifs applaudissements sont venus trois fois saluer les paroles de l’orateur. Enfin M. l’ingénieur en chef est venu parler dans le même sens que M. Duchâtel.


    Il était neuf heures du soir lorsqu’on s’est séparé ; une partie des invités ont pris place dans un train qui avait été spécialement organisé pour leur retour à Rouen et à Paris.

Journal de Rouen 26 février 1856- Archives départementales de Seine-Maritime - cote : JPL 3_132
 

      Un vin d’honneur est offert, aux invités, à la Chambre de Commerce et le soir un banquet de 140 couverts est servi dans la grande salle de l’Hôtel-de-Ville, pendant lequel la Société Mélophile fait entendre quelques symphonies. Des danses publiques ont lieu, toute la ville resplendissante d’illuminations est dans l’allégresse. Pendant le banquet, la musique d’un orchestre installé sur les galeries extérieures de la mairie faisait entendre des quadrilles, et de nombreux danseurs prenaient part au divertissement gratuit qui leur était offert. Une splendide illumination a dignement terminé cette belle fête.

J. MICHEL    

 

      Il faudra attendre encore deux ans, et la construction d’un tunnel qui prend naissance à l’emplacement de l’ancienne mairie, pour voir en 1858, le rail atteindre le centre-ville et le port. À l’époque la desserte de la gare était de quatre trains quotidiens, dont deux avec des voitures directes en provenance de Paris.