LA CÉRÉMONIE OFFICIELLE
À Versailles :
La ville a complétement perdu l’aspect solennel un peu froid qui lui est habituel. À toutes les fenêtres des drapeaux. Le Génie a élevé un arc de triomphe à l’entrée de l’avenue de Paris.
La foule énorme aux abords du pavillon dressé devant l’ancien hôtel des Menus-Plaisirs pour recevoir le Président, les ministres et les corps constitués. Une émotion se répand : des sénateurs venus de Paris ont apporté la nouvelle qu’on a tiré sur M. Carnot. On attend avec une certaine anxiété l’arrivée du Président. Enfin on aperçoit au loin un nuage de poussière, puis on distingue les casques et les cuirasses des cuirassiers de l’escorte. Un immense cri de “Vive Carnot !” s’élève. Le préfet et le maire lui souhaitent la bienvenue.
La voiture du Président passe au pas sous l’arc de triomphe formé de branchages, de pièces de canon et d’un curieux décor d’armes.
Les tambours battent, les clairons sonnent, les troupes présentent les armes, des salves d’artillerie éclatent au milieu des sonneries des cloches mises en branle à la fois dans toutes les églises de la ville.
Auprès de l’hôtel des Menus-Plaisirs, la voiture présidentielle s’arrête. M. Carnot met pied à terre, et aussitôt la musique du 1er régiment de Génie, placée dans la cour des Menus-Plaisirs, attaque la Marseillaise. Tout le monde se découvre.
Aux Menus-Plaisirs : La plaque commémorative des états généraux.
La masse des troupes et le cortège des autorités forment un spectacle imposant. Sur un signal du préfet, le rideau qui voilait la plaque commémorative, placée sur les Menus-Plaisirs, tombe. Plusieurs orateurs prennent la parole.
Tout d’abord M. Tirard : Le président du conseil des ministres, trace à grands traits le tableau de la France avant la Révolution ; il fait revivre la grande époque des États Généraux …
Puis, on se rend au château merveilleusement décoré, le cortège parcourt les appartements. Le Président de la République est introduit dans la salle des glaces.
Là, M. Méline, président de la Chambre prend la parole, au nom des représentants du pays, associés à cette imposante manifestation de reconnaissance nationale.
Puis, c’est le tour de M. Le Royer, président du Sénat, qui glorifie éloquemment la Révolution.
Enfin, le Président de la République prend la parole.
Il rend aussi justice aux hommes du Tiers-Etat, qui ont fait la liberté.
“La fondation de cette République est le couronnement de l’œuvre impérissable qui a été commencée il y a un siècle. Elle est le but que devait atteindre après bien des secousses, après de cruelles épreuves qui lui laissent une inconsolable douleur, cette généreuse nation française, si passionnée pour l’égalité et si jalouse de sa liberté.
“Elle a définitivement rompu avec le pouvoir personnel d’un homme, quelque titre qu’il prenne, et ne reconnait plus d’autre souverain que la loi délibérée par les élus d’’un peuple dans leur pleine espérance.
“Telle est, messieurs, l’œuvre d’un siècle, le résultat acquis par cent années de travail politique, de réflexion et d’expérience. J’en appelle à vous tous, Français de 1889, à vous représentants de la nation, à qui le suffrage universel a confié la haute mission de faire les lois du pays”.
L’Évêque de Versailles clôt la séance des discours en déclarant qu’il a commencé par constater que le clergé de 1789 partageait le désir de réformes qui animait la France entière, et participait au mouvement, dont il fut ensuite victime.
Mais malgré la persécution, il ne cessa pas de faire preuve d’abnégation patriotique, autant que de constance dans sa foi. Le clergé actuel, a ajouté le prélat, professe les mêmes généreux sentiments. Nous ne séparons jamais l’Église et la France dans nos affections comme dans nos prières …..
..... M. Carnot a remercié l’évêque des sentiments qu’il exprimait.
Le Lunch :
La réception terminée, M. le Président de la République se rend à la galeries des Batailles, où est servi un lunch, il repasse par les appartements de la reine et les grands appartements du roi.
Le lunch terminé, le cortège présidentiel s’est rendu dans le parc, dont les grilles avaient été ouvertes au public après le défilé. M. Carnot y a été pendant sa visite, l’objet de manifestations les plus chaleureuses. Des chaises avaient été réservées au président et à sa suite devant le bassin de Neptune restauré. Le spectacle des grandes eaux était absolument féerique.
Le Retour à Paris :
M. Carnot est rentré à l’Élysée, à huit heures, au milieu d’acclamations générales. Aucun incident sur la route.
Extraits du Journal de Rouen du 6 mai 1889 - Archives Départementales de la Seine-Maritime.