Établir un programme et l’exécuter sont deux choses distinctes, qu’il n’est pas toujours facile d’unir dans un tout parfait.
Personne ne pourra commenter défavorablement le but poursuivi par les “Ailes Fécampoises” de faire mieux connaitre et apprécier dans notre ville l’aviation.
Tous les membres du club ont fait leur devoir et méritaient qu’un succès encore plus grand que celui obtenu, vienne couronner leurs efforts.
L’organisation préliminaire fut parfaite. On avait tout prévu pour qu’il en soit ainsi : terrain aménagé consciencieusement et protection du public par des barrages et gardes mobiles, sous la direction attentive de MM. André, commissaire spécial du Havre, adjudant-chef Humez du Havre, de MM. Bouvenet, commissaire de police de Fécamp, et Pariset, adjudant de gendarmerie de Fécamp.
Avant 15 heures, la foule avait envahi les pelouses et les tribunes. Foule dense, disciplinée, avide de nouveau et décidée à tous les sacrifices pour le connaître.
À ce moment, quinze appareils sont sur le terrain, augmentés d’une unité par l’arrivée de Richard. Le haut-parleur diffuse des airs connus. On se démène autour de avions. Bilger s’approvisionne en essence.
À 15 h. 05, tous les pilotes sont appelés pour la vérification de leurs brevets et inspection indispensable, qu’exécute M. Bouvenet. À ce moment nous pouvons causer avec Bilger et l’un de ses managers. Nous apprenons ainsi que ce dimanche matin, à 11 h. 30 tous deux ont survolé Étretat et se sont livrés à quelques acrobaties.
Naturellement, on veut connaitre les projets de Bilger :
“Je compte, nous dit le célèbre pilote, m’attaquer prochainement au record de vitesse entre Paris et Saïgon, sur Caudron. Voici pour l’avenir. En ce qui concerne le passé et le présent, j’espérais lutter avec Détroyat, mais ce dernier parti récemment, ne put répondre à ma provocation, aussi vais-je aujourd’hui me rattraper sur Cavalli”.
À 15 h. 15, M. G. Couturier, maire de Fécamp, arrive sur le terrain. Il y est reçu par MM. Lacombe, président, et Maurice, vice-président du club fécampois. Nous avons aussi le grand plaisir de causer quelques instants avec deux aviatrices de classe. Melle Yvonne Giboux, pilote et sa partenaire, Melle Le Bris navigateur, toutes deux du Havre, et utilisant un Potez 36. Ces vaillantes jeunes filles sont engagées pour participer prochainement au challenge Hélène Boucher.
Mais bientôt, notre attention est attirée par un groupe où l’on remarque Cavalli et Bilger, jouant à pile ou face l’ordre des départs. Le hasard décide que Cavalli s’envolera le premier. On sait que la lutte devait être jugée par le public.
Au dernier moment, le programme de cette lutte avait dû être changé et se composait de neuf figures suivantes :
3 tours de vrille, un looping ordinaire, un looping à l’envers, un looping inversé, un Immelmann, un cercle sur le dos, un tonneau lent, un tonneau rapide et un vol sur tranche. Le tout en un quart d’heure.
La deuxième manche, d’un quart-d’heure également devait être exécutée au grès de chacun. Seul Cavalli y prit part.
Auparavant, nous assistons pour l’ouverture du meeting à la présentation du Potez 60, biplace de 60 CV, et du Potez 58, triplace de 120 CV. C’est un premier régal, par des vols au ralenti, des montées, des virages, vols sur l’aile, looping etc…
Le speaker Lemarrois tient le micro avec compétence. Le haut-parleur Ducretet était non seulement entendu, mais compris, nous a-t-on assuré, jusqu’à la route de Rouen.
À 15 h. 45, un avion surgit au lointain. C’est celui du pilote Allard du havre. Pendant ce temps, Cavalli donne un dernier coup d’œil à son 400 CV et quelques instants après prend un départ rapide, immédiatement suivi d’une chandelle. Ce sera ensuite, pendant cette première moitié d’épreuve, une exécution parfaite du programme établi. Puis notre “as”, car c’est véritablement un as, déchainé se surpasse et tient le public en haleine par son intrépidité. Ses rase-mottes suscitent les applaudissements, ses vols sur le dos, ses renversements, des hurrahs. Chacune de ces figures est annoncée par M. Martin. Ã peine a-t-il repris contact avec le sol, que Cavalli souriant, réclame sa femme et son chien.
À 16 h. 15, Bilger, à son tour, sur son biplan rouge, effectue un décollage très rapide lui aussi. Mais son moteur fait entndre des “ratés”. Quelque chose ne va pas. En effet Bilger atterrit aussitôt sans avoir rien tenté.
Prudence est mère de sureté, n’est-ce pas ?
- Qu’y a-t-il, demande-t-on à l’acrobate ?
- Je ne sais pas, mon moteur ne tourne qu’a 1 600 tours.
C’est alors une minutieuse vérification des organes et le pilote plongeant la tête dans le capot, cherche la panne. C’est là que se place ce que nous disions au début, à savoir que “projets et exécution font deux”.
Sans cette panne absurde, due on le su plus tard à la mauvaise qualité de l’essence, - on avait fourni du carburant pour camion, et non pour avion, erreur plus que regrettable – tout se serait passé normalement et on n’aurait pas été dans l’obligation de supprimer les baptêmes de l’air. Mais Bilger restant en panne et déroutant l’organisation, cela suffit à créer un flottement et une interruption assez longue du meeting. L’impression fût fâcheuse.
Un succès complet tient à peu de choses ! Un Potez 58 tenta bien de faire prendre patience aux spectateurs, mais c’était Bilger que le public attendait ! C’était sa réponse à Cavalli qu’on voulait.
Impatient, lui aussi, le pilote essaya son moteur, mais la défectuosité de l’essence devait l’obliger bientôt à une vidange des réservoirs, opération assez longue. Restait en attendant, l’exhibition du parachutiste Moreau. Là encore on joua de malchance. L’appareil devant le prendre à son bord était en panne et chacun des aviateurs présents ne consentit, soit faute de police d’assurance, soit que l’appareil ne se prêtait pas à ce genre d’exercice, à emmener Moreau, qui pourtant, nous en fûmes témoin, ne demandait qu’à monter là-haut. Le public s’impatienta et regretta plus que tout autre chose le contretemps du parachutiste.
Cavalli sauve la situation.
Heureusement, le sympathique Cavalli était là et voulut bien exécuter de suite la deuxième manche de son match avec Bilger. À 17 h. 10, il repartait et de nouveau enthousiasmait l’assistance. Ce qui étonne chez lui, c’est nous l’avons dit, la rapidité avec laquelle il part et commence ses acrobaties, ses ascensions vertigineuses, ses redressements impeccables sur place, provoquant des “ah” d’admiration.
Dans cette seconde manche. Cavalli se montra meilleur qu’on l’avait vu déjà. Ce fut splendide et lorsque revenu sur le terrain, il effectua un tour d’honneur, les bravos montèrent de toutes parts.
À 17 h. 25, alors que Cavalli vient de terminer, hélice calée, Bilger met son moteur en route… mais ne part pas. Il faut attendre 17 h. 40 pour voir s’envoler tout de bon avec de l’essence prêtée par Cavalli. Sa démonstration est également excellente, mais son appareil beaucoup plus faible que celui de son adversaire (108 CV) ne lui permet pas la même rapidité d’exécution et c’est un handicap énorme. Sa science pourtant est réelle et placé sur le même appareil que Cavalli, le résultat serait difficile à juger. Lui aussi fut très applaudi mais ne laissa pas la même impression.
Cette exhibition étant incomplète (une manche seulement), le vote des spectateurs ne put avoir lieu. Encore une déception.
À 18 heures, alors qu’on annonce l’impossibilité pour Moreau de trouver un convoyeur, on promet quand même la descente d’un autre parachutiste.
Le public a deviné qu’on lui “lance un canard”. C’en est un, véritable canard vivant, pensionnaire et compagnon habituel de Moreau, qu’un pilote lâche.
Muni d’un petit parachute, le palmipède reprend contact avec le sol dans les meilleures conditions possibles pour ses os. On s’en divertit fort quand M. Huguet l’ayant ramassé, le ramène sain et sauf.
Mais voici que l’heure s’avance. À 18 h. 15, plusieurs appareils prennent le départ pour un vol en groupe, et parmi eux un petit avion tout blanc – même l’hélice – est l’objet de la curiosité générale. Malgré son envergure réduite, c’est un monoplan très rapide. Il le prouve dès son décollage.
C’est maintenant que nous voudrions essayer de démontrer que les organisateurs du meeting ont atteint leur but. À peine virent-ils le champ libre que tous les spectateurs envahirent la piste et coururent vers les appareils qui restaient afin de les admirer et satisfaire une curiosité bien légitime. Ils eurent satisfaction, au grand “dam” peut-être des organisateurs eux-mêmes et des commissaires, débordés par cette affluence d’amateurs de l’aviation.
Le premier pas est fait et il est juste de féliciter les membres du jeune club, qui malgré de fâcheux contretemps, ont néanmoins apporté le meilleur d’eux-mêmes pour favoriser le développement de l’aviation à Fécamp.
C’est une œuvre extrêmement difficile, exigeant toute la bonne volonté qu’en la circonstance ils surent manifester.
En dernière heure nous apprenons que les promesses faites concernant les baptêmes de l’air seront tenues.
Henrique Héney .